LE PROCES DU MARECHAL ION ANTONESCO

Le 4 mai débuta au Tribunal du Peuple, rue Stirbey Voda, le procès du premier lot de criminels de guerre dont le Maréchal Ion Antonesco. Le procès dura plusieurs jours et une série de personnes témoignèrent. Le 10 mai, Iuliu Maniu vint témoigner, accompagné de Nicolae Penesco et Cornel Coposu. Pour éviter des incidents, on convia environ 15 étudiants national-paysans. Le public dans la salle était communiste. La déclaration de Iuliu Maniu parut dans la presse et le fait qu'il serra la main du Maré­chal Antonesco fut beaucoup discuté. Ce geste, Maniu l'expliqua après avoir lu les journaux, en disant: «Comment ne pas serrer la main d'un homme que vous ne verrez pro­bablement plus jamais? C'était un geste dicté par un senti­ment chrétien. Il n'était pas mon ennemi, mais seulement mon adversaire».

Au début du mois de mai 1946, Iuliu Maniu envoya par l'entremise de Nicolae Lupu une lettre à Petru Groza sollicitant qu'on n'inflige pas la peine capitale au Maré­chal. Par la même personne Petru Groza répondit qu'il soumettrait à ses collaborateurs la démarche de Iuliu Maniu et qu'en aucun cas le Maréchal ne pourrait être accu­sé de massacres contre les juifs, car «ces horreurs» n'avaient jamais eu lieu sur le territoire roumain.

Le Maréchal Ion Antonesco proposa Iuliu Maniu comme témoin dans ce procès, lui deman-

dant d'éclaircir deux points:

1. Si Maniu avait été au courant que le 23 août lui, le Maréchal, avait été arrêté au Palais Royal.

2. Si Iuliu Maniu considérait que le Maréchal avait trahi son pays.

Iuliu Maniu a affirmé qu'aucun homme de bonne volonté ne pouvait considérer que le Maréchal était un traître.

Il est à retenir que pendant toute la durée du pro­cès le Maréchal Ion Antonesco ne se prévalut jamais de ses bonnes actions, qui étaient nombreuses.

Quelques jours après, la dernière phrase prononcée par Antonesco fut:

«Lorsqu'en 1940 je conclus le pacte avec l'Allema­gne, celle-ci était l'alliée de la Russie, et je n'avais nulle­ment l'intention d'agresser la Russie. J'ai perdu la partie: si je l'avais gagnée, j'aurais aujourd'hui une statue dans toutes les villes de Roumanie. Je demande la peine de mort et refuse les recours en grâce. De cette façon je vais mourir sur le sol de ma patrie tandis que vous, vous ne pourrez pas affirmer avec certitude, où vous serez le jour où l'on vous pendra».

Après la condamnation du Maréchal Antonesco et de ses collaborateurs, Iuliu Maniu envoya à Petru Groza une lettre lui rappelant que c'était grâce au Maréchal que les Juifs et les communistes avaient été sauvés, en lui deman­dant de commuer la peine capitale. Dans cette même let­tre il lui rappelait que lorsque lui, Petru Groza avait été arrêté lors d'un incident, c'est le Maréchal qui sur l'inter­vention de Maniu l'avait remis en liberté. Une deuxième lettre fut envoyée par deux voies, Nicolae Lupu et l'avo­cat I. Léon. Ce dernier raconta à l'avocat Iosif Toma Popesco que Petru Groza ne pouvait rien décider à cause des Grandes Puissances, qui n'étaient pas d'accord pour com­muer la peine capitale.

Pendant la durée du procès du Maréchal, au Cercle territorial Campulung Bucovina, à l'exception d'un soldat d'origine ruthène, tous les officiers, sous-officiers et sol­dats votèrent et signèrent pour que le Maréchal ne soit pas  condamné à mort.  Ce vote fut imposé à toutes les unités militaires et le résultat fut le même.

Le 2 juin 1946 eut lieu l'exécution du Maréchal Antonesco dans la Vallée des Pêchers, à la prison de Jilava.

Après ce crime détestable, un de mes amis, un offi­cier, afficha dans la ville de Campulung (Bucovina) le mani­feste suivant, entouré d'un ruban noir.

«ROUMAINS»

Le 2 juin à Jilava, par ordre d'un gouvernement criminel, a été tué ignominieusement un brave fils du peu­ple roumain.

Le Maréchal Ion Antonesco n'est plus! Il a été tué par les traîtres de la nation!

C'est un martyr   du peuple roumain!

Tes frères opprimés pleurent ta mort, ainsi que la Bessarabie et la Bucovine du Nord!

Gloire à toi!

Mort aux traîtres de la patrie!

Mort   au  tribunal criminel,  qui  sera un jour puni!

10 MAI 1946

 

Trois mois avaient passé depuis que les délégués des Ministres des Affaires étrangères, ainsi que les grandes puissances avaient conseillé aux partis de l'opposition de   désigner   chacun  un   représentant   au  gouvernement.

Mais le gouvernement n'avait cure de respecter ses engagements internationaux, de sorte que Emile Hatieganu et Mihail Romniceanu, représentants de l'opposi­tion, ne pouvaient que se plaindre sans arrêt contre les at­tentats, abus et autres actes répréhensibles.

Dans cette situation le gouvernement organisa une cérémonie pour le 10 mai, place de la Victoire devant la statue du Soldat soviétique, pour marquer la contri­bution des russes à la guerre d'Indépendance de 1877. Le même jour la population et la jeunesse se rassemblè­rent pour manifester Place du Palais pour la contribution de la Couronne à l'acte d'Indépendance. Des colonnes d'étudiants, en costume national, partirent de l'Académie Commerciale et de la Faculté de Droit, allant vers les sta­tues du Michel le Brave et de Bratiano, entraînant dans leur sillage une foule enthousiaste. On n'entendait qu'un mot: «Liberté», clamé depuis plus de trois heures par des milliers de poitrines se déversant comme un fleuve dans les rues de la capitale. Liberté, le bien de l'homme le plus précieux, pour lequel des générations avaient lutté et que foulaient aux pieds maintenant ceux-là même qui préten­daient l'avoir rendue.

Les étudiants, après avoir déposé des fleurs devant les deux statues, se dirigèrent vers la place du Palais, qui était archi-comble. Avançant avec difficulté parmi la foule, ils purent arriver quand même au centre de la place où ils entonnèrent des chants patriotiques, mais le roi ne fit pas son apparition au balcon.

On apprit par la suite qu'il se trouvait à la cérémonie de la statue du Soldat russe.

Alors, comme magnétisée, la foule exclama: «Allons-y! Tout le monde place de la Victoire!» Et le fleuve humain prit la direction de l'Académie Commerciale.

Dans la foule je rencontrai Alexandru Dragulanesco, avec lequel nous partîmes pour assister au procès du maré­chal, emmenant 15 étudiants avec nous.

La masse humaine qui avait englouti la colonne des étudiants se dirigeait maintenant vers la statue des Avia­teurs et comme il y avait certains risques d'accrochage et même de bagarre entre les deux manifestations, un major fit son apparition à 200 m de la tribune; muni d'un dra­peau, il s'écria: «Suivez-moi, je vous mènerai par le che­min le plus court.»

Le cri de «Liberté» était parvenu jusqu'aux tribunes et quelqu'un qui s'y trouvait raconta plus tard que les mem­bres du gouvernement étaient devenus pâles; oubliant la cérémonie, leurs regards étaient maintenant fixés vers le Boulevard d'où venaient les clameurs.

Entre temps, la foule s'était approchée jusqu'aux cordons de police. Les agents, massues en l'air en guise de menace, ne retrouvaient rien d'autre à dire que:

«Passez, passez». Et on traversa les cordons impro­visés.

Une masse compacte partit en courant vers les tri­bunes aux cris de «Liberté, liberté, liberté...» Les mani­festants officiels, qui n'étaient pas encore arrivés devant les tribunes, furent obligés de s'écarter devant le torrent submergeant toute la largeur de la Chaussée Jianu. La personne qui me relata l'événement disait: «J'ai vu appa­raître tout à coup des dizaines de voitures devant la tri­bune, non pas pour barrer l'avance de la foule, mais pour embarquer le   gouvernement . Mais ils ne purent descendre de leurs voitures, le peuple marchait dessus comme sur le pavé d'un trottoir. C'est à ce moment que je réalisais ce que signifiait une foule décharnée. Elle était furieuse, mais savait encore raisonner. Arrivée devant la tribune, elle s'est arrêtée en criant: «Liberté et à bas le gouvernement Groza.» Le roi n'était pas encore parti. Il descendit en souriant, prenant le chemin du Palais. Les autres membres du gouvernement, Groza, Tataresco, Ana Pauker, Vasile Luca, Teohari Georgesco etc., étaient livides. Ils furent bien forcés d'écouter pendant plus d'une demi-heure les invectives de la foule et les cris de plus de 10.000 âmes réclamant leur liberté.»

Personne ne bougea avant que les tribunes soient évacuées. Au lieu de la musique qui devait clore la cérémo­nie, on chanta «Desteapa-te Romane» (Réveille-toi Rou­main) entonné par le vrai peuple roumain.

N'ayant plus d'obstacles à franchir, la foule se diri­gea ensuite vers le Palais.

De tous côtés les gens se dirigeaient vers le centre.

A ce moment le Roi eut droit à une manifestation pour le Roi comme il n'en avait jamais vu.

Cette fois on ne tira pas du Ministère de l'Intérieur comme le 8 novembre. Pendant toute cette après-midi on chanta et on acclama le Roi. Par trois fois il fut obli­gé d'apparaître à son balcon.

Vers 17 h je me trouvais toujours au Tribunal du Peu­ple, tandis que la foule rentrait de la manifestation. Les étudiants du foyer Stirbey Voda qui rentraient aussi et qui avaient eu vent de ce qui se passait, participèrent aussi, manifestant chaleureusement pour Maniu.

Entre temps la Sûreté, ayant repris ses sens, passait aux représailles. Elle partit à la chasse à l'homme réus­sissant à attraper par-ci par-là quelques jeunes.

Parmi les détenus se trouvait une amie à moi, Tatiana Misir, de la Faculté de Droit. On l'interrogea et on la tortura d'une façon bestiale. Ils ne se contentèrent pas de la frapper, ils lui serrèrent les seins dans une porte et on les lui brûlèrent ensuite à la bougie. C'était atroce. Lorsque après 20 jours de détention on l'a mise en liberté, elle était méconnaissable. Malgré sa mise en liberté, elle était condamnée à mort. Plus tard, des années après, un can­cer s'étant déclaré au sein qui avait été brûlé, elle en mou­rut la même année que le dr. Marcel Radulesco, un ami commun, en 1971.

Mais le chapitre 10 mai n'est pas terminé pour au­tant. Les recherches se poursuivront encore pendant un mois.

15 MAI 1946

 

Essayons de suivre l'évolution normale des événe­ments.

On a écrit des tomes sur l'importance historique de la révolution de 1848, on en connaft tous les détails. Le peuple roumain opprimé par une minorité dans son propre pays, se réunit en 1848, la même année qu'éclata la révolution dans toute l'Europe, en un nombre impres­sionnant —plus de 40.000— au Champ de la Liberté, à Blaj, se proclamant comme une nation souveraine, demandant l'égalité des droits avec les trois autres nations cohabitant avec lui en Transylvanie, outre le droit de parler le roumain, l'abolition du servage et la liberté de la presse, de réu­nions, les droits de la personne.

Les paroles du discours de Simion Barnutziu, oncle de Iuliu Maniu, martelaient la foule, cherchant à faire renaître l'espoir dans le cœur d'un peuple opprimé. C'est alors que se fit entendre la première fois le chant «Desteapta-te Romane» (Réveille-toi Roumain) de Mureseanu, qui anima notre idéal de liberté jusqu'à nos jours.

Comme il s'était écoulé 98 ans depuis cet événement historique, le Parti National-Paysan décida de fêter l'an­niversaire, le 15 mai 1946.

Le soir du même jour eut lieu une séance commémorative dans la salle de l'Athénée Roumain, présidé par Emile Hatziegano et à laquelle prirent part des leaders politiques.

La salle n'étant pas très grande, les invitations furent envoyées en tenant compte du nombre exact des places; on installa des hauts parleurs pour les gens qui n'auraient pas trouvé de billets. A 18 h nous nous rendîmes avec 10 étudiants dans le hall de l'Athénée pour contrôler les invitations à l'entrée, car on nous avait informé au der­nier instant que les communistes préparaient une action d'intimidation et de boycottage.

Au début tout se déroula normalement. Lorsque la salle s'était presque remplie, on nous signala trois per­sonnes suspectes. Je reconnus deux d'entre elles: Barbu Campina de la Faculté de Lettres, avec un camarade Rapaport. Je leur demandai leurs invitations. Ils n'en avaient pas. Ils s'étaient faufilés dans la salle et restaient debout. Je les invitai à venir dans le hall. Ils refusèrent. Alors nous dûmes les «convaincre».

Après ce petit incident on intensifia le contrôle à l'en­trée. Peu de temps après les deux qui avaient été prié de quitter la salle, revinrent entourés de 7 ou 8 personnes et essayèrent de pénétrer de force dans la salle. Ils échou­èrent. D'autres étant venus à leur secours, nous bloquâ­mes l'entrée avec les caisses de billets qui se trouvaient dans le hall. Deux d'entre nous, allâmes faire un tour de la salle pour voir si tout allait bien. La salle était cal­me et la conférence venait juste de commencer.

Nous retournâmes alors à l'entrée principale où on faisait pression pour entrer. Nous reconnûmes parmi les troublions: Barbu Campina, Moroianu, Axinte, Petre Barbulesco, Gorotcov, Aldea, Santimbreanu Mircea, Filipesco Grigore Puiu, Biserica, Coman, Cristea, Mihai Gafitza, Rapaport, Eugen Frunza, Gheorghe Matei, Petru Vintila, Cata-linesco, Bulz, une étudiante Leibovici, etc. C'était l'équi­pe des provocateurs, qui dans les facultés terrorisaient ceux qui n'étaient pas avec eux et dans la rue frappaient sans pitié.

Ce soir-là ils procédèrent de la même façon. Voyant qu'ils n'arrivaient pas à entrer, ils se vengèrent sur les vi­tres, en les cassant.

Quels temps et quelle époque! Ce bâtiment de cul­ture qui fut construit avec la contribution de chacun, était maintenant défiguré par ceux-là même qui se disaient cultivés. Et c'est parmi eux que le PCR cherchera et élira des cadres dirigeants. C'est eux qui s'occuperont de l'é­ducation   civique   et   massacreront   la   culture   roumaine.

Il n'est pas resté une seule vitre entière.

Il leur était plus facile de détruire que de convain­cre par des arguments.

Entre temps ils avaient reçu du renfort. Des voitures chargées de cheminots en grand nombre, peut-être les mê­mes qui avaient participé aux désordres du 8 novembre, arrivèrent.

Dans la salle, la conférence suivait son cours, dans le calme.

Au dehors, les troublions aidés par leurs renforts se précipitèrent sur les micros, essayant de les faire taire, car il y avait pas mal de gens autour qui écoutaient. N'ar­rivant pas à leurs fins, ils arrachèrent les fils tout con­tents d'avoir réussi cet exploit digne de gens qui voulaient instaurer l'ordre.

On avait annoncé par téléphone la mission améri­caine. Celle-ci arriva sur les lieux et, ayant constaté les dé­gâts, elle demanda au Ministère de l'Intérieur les raisons de cet acte de vandalisme. Le comble c'est que le Minis­tère de l'Intérieur n'en savait rien. Peut-être était-ce vrai car Bulz et ses gars avaient fort à faire sur le terrain.

Après deux heures de vandalisme, des soldats de Tudor Vladimiresco vinrent pour sauver ce qui restait en­core à sauver et protéger ceux qui étaient à l'intérieur et qui s'apprêtaient à sortir.

Entre temps la conférence s'était terminée et le pu­blic put se rendre compte des événements qui s'étaient déroulés à l'extérieur. Les soldats protégèrent le public par un cordon. On débloqua les entrées, on ouvrit les por­tes et les voyous n'osèrent plus se manifester. Les reporters anglais et américains purent photographier ce qui venait de se passer.

La sortie fut difficile,  car une fois dépassée la ligne du cordon, les bagarreurs qui n'attendaient que cela se je­tèrent à nouveau sur les gens, de sorte que ceux-ci durent rester en groupes de 20 à 30 personnes pour se protéger. On n'épargna que les personnes de Iuliu Maniu et Ion Mihalache.

Ayant reçu l'ordre de ne pas toucher ces deux per­sonnalités, les voyous se vengèrent sur les autres, et à 2 h de la nuit il y avait encore des gens qui n'étaient pas encore rentrés chez eux.

Le lendemain on trouva des gens gisant dans le parc en face de l'Athénée.

Les communistes avaient prouvé encore une fois, s'il était nécessaire, leur façon    de respecter les libertés.

Deux jours après, l'infâme Téohari Georgesco di­sait que le peuple révolté par les mensonges de la réac­tion, s'était déchaîné et qu'il ne pouvait pas empêcher la liberté d'action de la foule. Mais le pauvre ministre ne savait pas que la révolution de 1848 qu'on venait de fêter, n'avait pas été un mensonge, et que ses idées étaient  bien  enracinées dans le cœur du peuple roumain.

PARTOUT DES MENACES

En dépit de la terreur, les partis d'opposition cher­chaient à se réorganiser. A Craibva, la délégation permanen­te du département se réunissait pour discuter sur la cam­pagne électorale et sur son organisation. Profitant de cet­te occasion, nous partîmes à Bucarest pour nous y ren­dre. Nous étions plusieurs jeunes: Paul Hertza, Ion Barbulesco, Mihai Calafateanu et d'autres encore. Nous déci­dâmes d'organiser une réunion des jeunes de la région de Calafat, pour savoir sur qui on pouvait compter et leur transmettre que le centre attendait beaucoup de la jeune génération, en ce moment crucial. Une belle manifestation eut lieu, qui partant du club, se rendit au monument situé sur la rive du Danube d'où on tira en 1877 le premier pro­jectile pour annoncer la décision du peuple roumain de s'affranchir du joug ottoman. On put constater beaucoup d'enthousiasme parmi les jeunes, mais aussi chez les vieux qui participèrent. Le vieux Ciuperceanu, chef d'organi­sation, homme simple, mais homme de bon sens et de courage, prononça une allocution impressionnante: «Mes enfants, si vous voulez vivre libres dans votre pays, jouir de vos biens, devenir le soutien de l'espoir de vos enfants, soyez à côté de Iuliu Maniu en ce moment crucial de la nation roumaine pour sauver le pays des griffes du commu­nisme ».

Le soir de notre arrivée à Calafat, le hasard fit que je me retrouve sous le même toit que le colonel Petre Popa, un officier supérieur, travaillant au deuxième bureau de l'Etat Major. La patronne, pour nous faire un bon ac­cueil, nous invita ensemble à souper. Homme de société, versé dans l'art de conduire une conversation, il évita pen­dant tout le repas de parler politique. Après le repas nous nous retirâmes et profitant d'un instant où nous étions seuls, il m'invita dans sa chambre. J'acceptai et la con­versation s'est prolongée jusqu'après minuit.

—Je suis venu, commença-t-il à cause de vous. Je suis aussi olténien que vous et roumain de même. C'est pour cela que je veux vous parler franchement, en vous disant que je ne vous veux pas de mal.

Aujourd'hui la politique se fait dans le but de dé­truire ceux qui la font.

Le gouvernement veut briser l'opposition par tous les moyens. L'armée est engagée dans cette opération qui veut tout ramener au même dénominateur commun. Des informations sont recueillies sur tout le monde, de par­tout, utilisant tous les moyens, pour annihiler tous les agitations.

Ecoute, et sortant un carnet, il se mit à lire: Tu es Ionitoiu Cicérone né le 8 mai 1924 à Craibva, fils de Ion décédé et de Marie, étudiant à Bucarest, au service de la réaction. Tu t'occupes de l'organisation de la jeunesse en Olténie et tu as créé pas mal d'ennuis à la Sûreté de Craiova.

Je dois par mes propres moyens découvrir quel est l'état d'esprit qui règne dans la région, quelle en est l'ac­tivité, et qui s'en occupe? Je dois en outre me renseigner sur ta personne, par où tu es passé, éventuellement où tu te caches, vu que depuis 6 mois tu es considéré com­me disparu. Je dois communiquer au plus vite les résultats de mon enquête.

Je voudrais que tout ce qui a été dit, reste entre nous pour notre sécurité. Arrange-toi pour disparaître, car je ne suis pas le seul informateur, et on ne saurait être assez prudent à cause du système qui est diabolique, surtout quand il est au service des intérêts des étrangers et que ceux-ci cherchent à trouver parmi nous des collabora­teurs.

Aujourd'hui que je me trouve en dehors de ce réseau diabolique, je me dois de souligner cet épisode pour montrer comment on détruisait l'opposition par tous les moyens. En ce qui me concerne, je précise que seuls les Russes ordonnèrent ma filature au deuxième bureau de l'Etat Ma­jor. Je m'attendais d'ailleurs à ce que je sois filé, mais il é-tait possible de retourner là où je m'étais miraculeusement échappé. Je me rendais compte qu'il y avait une solida­rité tacite et que beaucoup de gens auraient voulu m'aider, mais n'osaient pas. Combien de mains invisibles n'ont-elles pas arraché les toiles d'araignées qui entouraient tant de gens? Je devais m'en apercevoir dès mon retour à Bucarest.

La grande surprise n'était pas d'être recherché, mais le fait qu'on voulait m'écarter de la vie politique. Le 18 mai 1946, un mandat d'arrêt fut lancé contre moi, signé par le procureur Iorgu Popesco. Vers le 20 mai les journaux communiquèrent qu'une vingtaine de personnes s'étaient rendues coupables des désordres de la journée du 10 mai. Parmi ces personnes figuraient quatre jeunes National-Paysans: le docteur Marcel Radulesco, président de l'or­ganisation PNP de la faculté de Médecine, Vladimir Mi-hail, président de l'organisation PNP de la Faculté de Droit, moi, de la Faculté de Lettres et Victor Novac de l'Acadé­mie Commerciale-

II fallait se décider. Faire de la prison ou nous ca­cher.

Je reçus la visite d'un jeune qui, venu au club, me de­manda une entrevue entre quatre yeux. Il me dit être étudiant et en même temps agent de la Sûreté: «J'ai reçu des dispositions pour vous arrêter. Une brigade de la Pré­fecture de Police est à vos trousses . Je ne sais pas ce que vous allez décider, mais sachez que ceux qu'on a ar­rêté le 10 mai, ont été cruellement torturés et qu'on essaye de mettre à la tête de cette organisation quelques natio­nal-paysans pour donner toute une teinte politique. Ceux qu'on a arrêté sont des inconnus, attrapés dans la rue.

Une jeune fille de chez vous, Tatiana Misir, est mécon­naissable. Elle a été torturée de manière bestiale. Dispa­raissez, je vous implore! Faites attention lorsque vous quitterez le club, car on suppose que vous vous trouvez ici. Oubliez-moi. Peut-être que plus tard, qui sait, je pour­rais vous être encore utile.»

En effet, il nous fut très utile et pendant encore un bon bout de temps. Personnellement je pris la déci­sion de ne pas capituler. C'était notre devoir pour dé­masquer le mensonge. Mais la Sûreté continuait à semer la terreur et la panique et tous les moyens lui étaient bons.

Le 22 juin 1946 le Tribunal Militaire, par la Cour Martiale du deuxième Corps d'Armée, prononçait ma con­damnation, sentence 524: «Conformément l'art. 723, ord. nr. 1/1940, et l'art. 326, 360/le Code de la Justice Militaire condamne par contumace à deux ans de pri­son plus une année d'interdiction pour infraction aux interdictions de manifestations et réunions, ainsi qu'à une amende pénale de 100.000 lei».

La même condamnation était prononcée contre mes trois collègues.

C'était une nouvelle vie qui commençait pour nous, celle de la clandestinité, à la veille de la nouvelle loi élec­torale. On nous interdisait de voter, mais leur but était surtout de ne pas nous voir participer à la campagne électorale. Ceci nous poussa davantage à l'action et à l'u­nion devant le danger qui menaçait notre pays.

 

DES DOCUMENTS SENSATIONNELS DU PARTI COMMUNISTE ROUMAIN

 

 Les  ordres  qui  doivent  être exécutés  pour détruire l'opposition   et  soumettre  le pays  par les  méthodes  du NKVD.

 

*

PARTI COMMUNISTE ROUMAIN 

  Le responsable chargé de la Propagande 

  Le secrétariat général

                                            
    Nr. 3/456 SS.

 

Au secrétaire responsable de... Camarade Secrétaire,

Vous devez prendre immédiatement les mesures nécessaires pour l'extension de la propagande, ainsi qu'il a été décidé par le Comité Central du Parti Communiste Roumain.

1.     Les membres responsables de l'équipe qui ont été dispersés parmi les groupements réactionnaires doivent in­tensifier leur action en provoquant des dissensions parmi les
membres de l'opposition: Maniu, Bratianu, Titel Petresco.

2.     Il faut être toujours prêt à répandre la suspicion par­ mi les membres de la réaction et un rapport hebdomadaire doit être envoyé pour montrer la scission obtenue.

3.     Le travail doit être accompli de telle manière qu'il empêche  la découverte des membres dispersés, mais s'ils sont   découvert,  une  attaque vigoureuse doit être menée par la presse contre les membres influents de la réaction.

Le recrutement des nouveaux membres.

1. Les délégués responsables du recrutement des nouveaux membres doivent obtenir par tous les moyens, le    ralliement des anciens membres de la Garde de Fer.

A cette fin il faut employer les méthodes suivantes:

a)     La menace d'arrestation;

b)  Leur confier des fonctions importantes jusqu'à leur ralliement définitif au Parti Communiste roumain;

c)     Octroyer des aides à tous ceux qui en ont besoin;

d)   Leur expliquer que le Parti Communiste roumain veut exécuter le programme de la Garde de Fer.

Les personnes pauvres, ayant un rôle de propagande dans les partis réactionnaires, doivent rejoindre le Parti Communiste par tous les moyens, pouvant être utilisées à cet effet, par exemple, en leur retirant toutes les facilités d'obtenir le ravitaillement, arrestations et enquêtes factices.                   

Grande attention au Parti Populaire National.

1. Il faut couvrir tous ceux qui ont appartenu aux partis réactionnaires et qui appartiennent maintenant au Parti Communiste, afin de prévenir la propagande en faveur de la réaction, parmi les membres du P.P.N.

Propagande

Les camarades responsables de la propagande en fa­veur du collectivisme doivent organiser des réunions et des conférences ayant pour but d'expliquer l'utilité du collectivisme. En même temps, dans tous les villages, les délégués à la jeunesse doivent intensifier la propagande du collectivisme, en montrant que seul le collectivisme peut prévenir les sécheresses qui conduisent à la famine.

Rapports

Les camarades messagers seront obligés d'apporter des rapports hebdomadaires qui prouvent au Secrétariat de la Propagande du C.C. du Parti Communiste Roumain que les missions ci-dessus mentionnées, ont été exécutées.

Les Secrétaires responsables:                                    Le messager responsable:

ss. Gh. Gheorghiu-Dej                                             ss. X.

      ss. Vasile Luca

 

Motto: II ne faut    permettre à  aucun réactionnaire d'obstruer la voie au Parti Communiste Roumain.

 

 

*

LE COMITE CENTRAL

du Parti Communiste Roumain

SECRETARIAT DE LA GARDE

Les Secrétaires responsables Nr. 4.573 du 23-11-1946

STRICTEMENT CONFIDENTIEL

Aux   Secrétaires   responsables  du  Parti  Communiste Roumain de la région de...

 

Suivant la décision du Comité Central du Parti Communiste Roumain de constituer une garde de sécurité armée, nous vous informons par la présente du plan qui doit être exécuté scrupuleusement:

1.  La garde de sécurité doit se recruter parmi les membres  de  confiance  de  la Jeunesse Ouvrière Communiste, remplissant les conditions suivantes :

a) De préférence, célibataires;

b)    Ayant rempli leurs obligations militaires et ayant une connaissance parfaite de l'usage de l'éclairage et des armes lourdes d'infanterie;

c)       Ayant fait preuve d'être des hommes de confiance du Parti;

d)    Désirant    accomplir   n'importe   quelle   mission.
Dans ce cas aussi, il faut chercher à obtenir l'adhésion des anciens membres de la Garde de Fer ayant pris part à la rébellion de 1941.

2.  La garde de sécurité armée doit être à la disposition   du  Parti,   mais,   afin     de  prévenir les protestations de la réaction, il faut observer les règles suivantes:

a)        Pour  un  certain  laps de temps, la police d'Etat doit  s'abstenir de toute activité, permettant ainsi aux voleurs de voler les biens des citoyens;

b)    L'éclairage des rues dans les villes doit être   né­gligé  à tel point que la population soit obligée de faire appel   au  renforcement   de la police pour faire face aux vols qui seront organisés.

A cette fin, vous devez prendre les mesures nécessai­res, en incitant la presse locale à réclamer la constitution des gardes années.

Ces gardes doivent être constituées sous l'observation des conditions du paragraphe 1, mentionné ci-dessus, et doivent agir seulement dans l'intérêt du parti.

Il faut chercher à armer le plus grand nombre possi­ble d'ouvriers, qui seront utilisés en temps propice pour les intérêts du Parti.

Une fois la garde de sécurité armée constituée, vous devez nous envoyer la liste des adhésions ce qui nous per­mettra de vous envoyer les dispositions concernant aussi bien la garde d'ouvriers qui peuvent être portées à la con­naissance du peuple que celles confidentielles concernant la garde de sécurité.

Les   rapports   doivent   être   envoyés   par   messager.
Le Secrétaire responsable:        Le Messager responsable:
X                                                                 X

 

 

LA DEMOCRATIE S'ARRETE ICI. A PARTIR D'ICI C'EST MANASTURU!

La période d'après le 6 mars est connue comme une période de mensonge, amoralité, hypocrisie, délation, mauvaise foi; la préoccupation était de promouvoir le mal, la haine, la vénalité, pour détruire la famille, la morale et la foi. Le gouvernement était en train de saper les fon­dements de la société roumaine dans le but de l'asservir à ses intérêts et par là à ceux des russes.

La population, avec son humour inné, faisait cir­culer toute sorte d'épigrammes et anecdotes, les unes pimentées, les autres pleines d'ironie à l'adresse des in­désirables et de tous ceux qui se moquaient du peuple roumain. Les meilleures étaient attribuées à Pastorel Teodoreanu, homme plein d'esprit et surtout d'un courage qui lui vallut un séjour à la prison de Jilava. Beaucoup de gens conservaient ces écrits comme on conserve des perles précieuses appelées à durer, mais ils eurent le même sort que Pastorel.

Mais ce qui resta mémorable et circula d'un bout à l'autre du pays ce fut la pancarte portant le slogan que les paysans mirent devant l'entrée de leur commune Manastur:

«La démocratie s'arrête ici; à partir d'ici commence la commune de Manasturu»!

Ces gens simples, de vrais Roumains qui avaient souffert aussi sous l'occupation hongroise (1940-1944) et qui en avaient assez, surent exprimer en une phrase la situation réelle du pays et ce qu'elle cachait. La pancarte est restée là pendant des mois. Des gens s'arrêtaient pour la photo-

graphier, tout en admirant le courage et l'humour du paysan roumain. Combien de fois ces gens travaillant dans les entreprises à Cluj ne sont-ils pas partis pour défendre leurs droits à la main avec des faux et des haches!?... Ils étaient des amis inséparables des «petits messieurs», comme ils avaient l'habitude d'appeler les étudiants.

Après la manifestation du 10 mai 1946, pour intimider les étudiants et couper court à leur enthousiasme, les com­munistes formèrent des équipes d'agresseurs hongrois qui devaient attaquer le Foyer Avram Ianco.

Pris de court, les étudiants se barricadèrent, prêts à riposter. Comme ils étaient moins nombreux que leurs agresseurs et ne voulaient pourtant pas céder, ils furent bien obligés de se servir de ce qui leur tombait sous la main: chaises, tables, armoires démontées.

Pendant ce temps, un étudiant se glissa dehors et partit en courant pour avertir ses camarades du dehors. Il passa aussi par Manastur pour demander de l'aide en criant:

«Au   secour,   les  barbares   sont   venus   nous   tuer!»

Avec tout ce qu'ils purent trouver, des faux et des haches, les petits et les grands de Manastur prêtèrent leur concours pour défendre le Foyer Avram Ianco.

Les confrontations furent sérieuses, il y eut même des blessés, mais les paysans ne s'arrêtèrent pas avant de libérer les «petits messieurs».

A cette époque on mit aussi du poison dans les mets à la cantine des étudiants. Des dizaines de personnes durent être hospitalisées pendant presque deux semaines. Inutile de vous dire quels étaient les auteurs.

La délégation des étudiants venue de Bucarest nous raconta tout cela et nous étions atterrés d'apprendre que la cause en était notre désir de vivre libres dans un pays li­bre.

Emile Hatzieganu lui aussi informé, souleva le pro­blème au Conseil des Ministres. Les étudiants attendi­rent 3 jours pour pouvoir parler à Monsieur le Premier Ministre Petru Groza. Ils ne réussirent pas à le voir, car

Monsieur   Groza   avait   des  problèmes   avec  sa condition physique qu'il ne pouvait pas négliger.

On leur permit quand même de déposer un mémoran­dum qui, sans doute, se trouve au fond d'un tiroir et qui, comme celui envoyé à Vienne, n'a jamais été lu. Il y avait quand même une petite différence. Celui de Vienne avait été remis dans une capitale étrangère, tandis qu'ici on était à Bucarest. Mais à y bien réfléchir, Bucarest était aussi une capitale étrangère, car c'est le Russe qui y régnait. Peut-être que plus tard ces documents seront trouvés et lus par les enfants de ceux qui les ont remis.

Et la délégation s'en fut comme elle était venue. Je me rappelle des paroles de l'un d'entre eux:

«En Roumanie on n'a pas à qui se plaindre pour défendre ses droits. On devra conquérir ses droits en lut­tant comme nos aïeux. Cette fois, en luttant contre nos soi-disant frères ! »

L. Patrascanu et Miron Constantinesco se rendirent dans la ville de Cluj, centre de culture et de roumanité, essayant de parler le langage des étudiants, mais sans résultat. Les émissaires perdirent ainsi la confiance du Parti auprès de Vasile Luca et Ana Pauker. C'est à partir de ce moment que leur malheur commença.

Ma situation devenait de plus en plus difficile. Je devais me cacher tout le temps. Le procès qu'ils voulaient nous intenter avait comme but d'impliquer le Parti Natio­nal-Paysan, ce qui nous décida à disparaître pour quelques mois.

Je me rappelle de quelle façon le dr. Marcel Radulesco a pu filer, habillé seulement d'une chemise, d'un pan­talon et d'espadrilles. La Sûreté eut vent qu'il habitait chez Hala Traian, mais ne l'y ayant pas trouvé, elle repar­tit. On avertit Radulesco aussitôt à l'hôpital des Diaco­nesses, où il travaillait. Il enfila en vitesse son pantalon, sauta par la fenêtre et disparut. Nous primes la décision de partir le même jour. On était trois à choisir la forêt comme   «maquis».   Heureusement   que   l'été  nous  prodiguait sa chaleur.

C'était un été mémorable d'une sécheresse inouïe, laquelle s'ajouta aux autres malheurs du peuple roumain, outre une famine terrible dont les conséquences seront ressenties pendant deux ans. C'est en Moldavie que le mal­heur commença d'abord par l'enfer du front, ensuite par l'occupation russe et finalement le typhus. Les gens par­taient sac au dos à la recherche de ravitaillement pour leurs familles dans toutes les directions. C'est de là que partaient également les trains dits: «trains de la faim», jusqu'en 1947.

* * *

Toujours à la même époque on publia la loi électorale sanctionnée par la Roi, permettant au gouvernement de faire son jeu et de falsifier à son gré:

La division en circonscriptions électorales visait à em­pêcher de voter les communes considérées comme adver­saires, les obligeant à se déplacer à des grandes distances pour les faire renoncer au voyage. On pensait aussi que les vieilles personnes et les malades seraient incapables de s'y rendre:

Les procès verbaux pourraient porter une seule signa­ture, celle du président de la section de vote, aucune autre signature n'étant plus requise pour la validité du procès verbal. C'est pour cette raison que pendant le comptage des bulletins de vote, beaucoup de présidents partirent sans rédiger le procès verbal qui sera établi à leur guise au cours  des  commissions  électorales     du  département.

On put rayer sur la liste des candidats les gens que le gouvernement jugeait indignes.

 

PENDANT LA CAMPAGNE ELECTORALE

PLUIE DE NOTES DE PROTESTATION SUR LA

ROUMANIE

Notes, réponses aux notes, contre-notes... se succè­dent sans cesse entre Washington, Londres et Bucarest (représentant de Moscou). Tout cela n'est qu'un aspect de la lutte d'influence que se livrent les Trois Grands en Europe orientale, toujours évidemment pour la défense de «grands principes».

Les Etats Unis et la Grande Bretagne demandèrent à Bucarest qu'il soit mis fin aux violences politiques et que tous les partis jouissent enfin d'une entière liberté.

Les présidents des partis d'opposition (qui de fait étaient majoritaires) National-Paysan, Libéral et Social Démocrate-Indépendant ont adressé au Président du Con­seil des Ministres la protestation suivante (deux semaines avant les élections): ...«Des bandes de terroristes furent spécialement équipées et armées par le gouvernement afin d'empêcher, par la violence, les membres des partis de l'opposition de poser leurs candidatures. Ces bandes furent poussées dans les tribunaux et en défendirent l'entrée aux membres de nos partis... Nos candidats et leurs pro­posants furent attaqués à leurs domiciles, à l'hôtel, en chemin de fer et même dans les locaux des tribunaux sans que les autorités interviennent jamais pour prendre leur défense... Dans ces conditions, tout contrôle des opé­rations de vote devient impossible. Certaines personnes furent inscrites plusieurs fois, alors que d'autres se virent rayées des listes électorales. Parmi les mesures décidées par  le  gouvernement     afin  de  paralyser  toute  tentative de propagande de l'opposition, figure en premier lieu la création des équipes de choc communistes comptant environ 10.000 personnes... avec le but d'annihiler toute action ou manifestation de l'opposition...

Les soussignés, en notre qualité de représentants des trois partis d'opposition, entendons protester énergique-ment contre cet état de choses, en vous priant de bien vouloir ordonner d'urgence la prise de mesures indispen­sables au rétablissement de la légalité... Nous nous permet­tons en même temps de porter à votre connaissance que les fins de non recevoir opposées par le gouvernement à nos démarches antérieures nous obligent désormais à en informer directement les représentants des Trois Grandes Puissances qui se portèrent garantes de la liberté des élections, ainsi que de l'établissement en Roumanie d'un régime franchement démocratique.»

 

LES ABUS ET LES VIOLATIONS SE REPENDENT

En Juillet, le Comité Central du PNT se réunit pour rédiger un programme-manifeste national; il élisait en mê­me temps sa délégation permanente, exigeant la mobi­lisation de toutes les forces dans la campagne électora­le.

A ce moment crucial pour le peuple roumain, de nom­breux cadres jeunes et anciens soulignèrent l'importance capitale de ces élections nationales; ou nous resterions un pays libre ou nous tomberions sous le joug de la dic­tature communiste.

A Pitesti eut lieu le 9 août une action terroriste d'une cruauté inouïe. Une réunion régionale du PNP présidée par Nicolae Penesco s'y tenait quand les bourreaux de Dorobantzu menés par Constantin Doncea et Nicolae Ceausesco se précipitèrent agressant et blessant les personnes présentes. Mais ce n'était pas suffisant; voyant que la fou­le se sauvait, ils commencèrent à tirer.

Parmi ceux qui ont été identifiés comme participants à cette agression soldée avec deux morts, se trouvent encore, en dehors des noms mentionés en haut: Constantinesco (chauffeur), Balta, Leu (devenu général de la sécurité), Victor Nitzesco (un pope interdit du district de Dâmbovitza), un certain Petresco (de la commune Titu, devenu colonel de securitate et parent de Leana Ceausesco), Badea et Bizin (deux bourreaux devenus officiers de sécurité à Ploiesti).

L'instituteur Tica Popesco et l'avocat Gheorghe Mihai se réfugièrent dans le bureau de Racovitza, le pré­sident du Tribunal de Pitesti. Poursuivi par les communistes, le second a été fusillé dans le Tribunal (le corps de Gheorghe Mihai fut troué de 75 balles), et le premier (Ti­ca Popesco) fut tué pendant qu'il sauta par la fenêtre. Nicolas Penesco, secrétaire général du Parti National-Paysan, a été grièvement blessé.

Téohari Georgesco, le ministre des Affaires Inté­rieures , imposé par les russes, s'est excusé à Nicolas Pe­nesco, disant que le Parti Communiste n'a rien de commun avec cette action et Petresco de Titu, étant trouvé coupable, on l'a puni, en lui prenant le carnet de membre du parti pour dix jours. La participation des communistes à tous ces crime commis sous les yeux des dirigeants com­munistes mentionnés en haut était évidente.

Ce sont surtout les candidats figurant sur la liste gouvernementale communiste qui lui en voulaient, dont certains détiennent aujourd'hui des fonctions importan­tes en Roumanie.

Dans cette région ainsi que dans 7 ou 8 autres dépar­tements, les communistes risquaient de n'obtenir aucun siège aux élections et cela les dérangeaient beaucoup.

Rien n'arrêtait les gens, pas même le crime. Mais la campagne d'intimidation ne servit à rien, car on vota mal­gré tout contre la liste du gouvernement et les communis­tes n'obtinrent aucun siège. Alors ils falsifièrent les résul­tats.

Il y a une autre explication aux événements de Pites­ti, c'est le refus de Nicolas Penesco opposé à Ana Pauker en 1944.

Dans le département de Dolj une action criminelle fut dirigée contre l'organisation libérale. La campagne électorale du PNL battait son plein durant l'été de 1946 à Craiova. La réunion électorale devait avoir lieu à Plenita pour l'exposé du programme. La direction de l'organi­sation du département loua un autocar pour se déplacer librement. A l'aller, dans la forêt Bucovat les militants furent reçus à coups de mitraillettes; 6 personnes furent blessées:  Ianco Olanesco,  Cornel  Mihaiesco,  Nelu Sandu Neamtzu, Dinel Iliesco, Fanica Botoi, Vasile Duran. Le chef de l'organisation départementale, maftre Ionel Plesa fut frappé à la tête. L'autocar fut incendié. Comme par miracle, un autre autocar surgit pour emmener les blessés à l'hôpital. Comme par hasard, le Préfet du département, un prêtre nommé Cumpanasu, fit son apparition. Ionel Plesa se dirigea vers lui et, touchant de sa main ensanglan­tée les vêtements du prêtre, il dit: «Regardez mon père ce que vous avez fait! Comment Dieu peut-il encore vous supporter?» Les blessés furent transportés à l'hôpital de Craiova où les infirmières refusèrent d'interner Plesa parce qu'il possédait des biens.

A quelques jours de là, le journaliste américain Ruben Markham arriva à Craiova. Il put voir les victimes et surtout se rendre compte dans quelles conditions se déroulait la campagne électorale. Il reconnut que person­ne ne pouvait nous venir en aide.