LE MONASTERE DE VACARESTI

 

A Vacaresti, dans les deux sections à côté de l'é­glise, régnait une grande misère. D'abord la faim. Nous fûmes épouvantés de voir de quelle façon était servi le repas dans la section voisine, chez les détenus de droit commun. Dans la cour, des centaines de gens s'entassaient autour d'un maigre rata, de l'eau bouillie avec quelques rondelles de courgettes. Tout à coup les gardiens firent leur apparition, des fouets à la main, frappant sans re­garder, sur les têtes, sur les yeux, sur le buste. La chaleur qu'il faisait, les gens étaient torse nu. Le sang giclait, on entendait des cris de douleur, mais personne ne recu­lait. Hissés sur le mur qui nous séparait, nous assistâmes à cette scène terrifiante. Même devant la menace du fouet les gens ne reculaient plus. Affamés, ils buvaient ce jus infâme bouillant et tendaient ensuite la gamelle pour en redemander. Le fouet était devenu impuissant, le repas se terminait; beaucoup de détenus n'avaient pas encore rien reçu. Tiraillés par la faim, ils commencèrent à ar­racher l'herbe de la cour, la mangeant comme des bê­tes.

Nous reçûmes la même chose. La consommation se faisait dehors. Le deuxième problème était le sommeil. Les lits en fer sans matelas, superposés sur trois niveaux. Deux personnes dans chaque lit et malgré cela on n'ar­rivait pas à caser tout le monde. Même les couloirs étaient remplis. Pourtant, ce n'est qu'une fois couché que la dis­traction commençait: les punaises. Un vrai cauchemar! Nous pensions qu'elles n'opéraient que dans l'obscurité, mais  là,   elles  avaient  évolué,  on  pouvait  les voir sortir

du mur, la tête en bas, comme au cirque, se jetant sans pitié sur leur proie. Je vous fait grâce de l'odeur qu'elles dégageaient.

La première nuit fut un calvaire, j'avais l'impression qu'elle ne finirait jamais.

Le lendemain nous sortîmes tous dans la cour avec notre petit baluchon, demandant à parler au chef de sec­tion. Nous lui expliquâmes d'abord le manque d'espace, puis la misère des dortoirs. Il nous donna un fly-tox pour nous débarrasser des insectes et deux autres dortoirs dans la section voisine chez les détenus de droit commun. Nous commençâmes par passer à la flamme les lits, mais, la nuit d'autres punaises arrivaient. On s'arrangeait pour dor­mir pendant le jour dans la cour, à même la terre, sur le béton, sur ce qu'on pouvait trouver. A cause de la misère et du manque d'eau, un autre fléau s'abattit sur nous: les poux. Nous étions terrifiés. En Moldavie le ty­phus et la famine faisaient des ravages. Nous demandâ­mes une tondeuse et la possibilité de prendre des bains. Certains d'entre nous nous tondirent les cheveux, d'au­tres passèrent leurs vêtements à l'étuve pour éviter l'é­pidémie.

Grâce à la collaboration de tous, nous réussîmes à nous débarrasser des punaises et des poux. On se procura du D.D.T. à l'extérieur, cette fois avec le concours des gar­diens qui ne le faisaient pas pour notre plaisir. Le premier dimanche nous reçûmes des paquets et de l'argent.

Dans la cour, dans notre section, il y avait un maga­sin alimentaire pas très bien achalandé à cause du manque d'argent. Ayant cotisés pour aider le marchand à s'ap­provisionner, nous vîmes bientôt apparaître dans la cour des cageots de fruits et de légumes.

Par la suite, chacun demandant ce dont il avait besoin, nous nous organisâmes par groupes d'amis ou de connais­sances, à préparer nos repas sur des lampes à pétrole. La solidarité qui se créa entre nous fit qu'au bout de 10 jours nous avions repris nos visages habituels.

 

LES ATROCES SOUFFRANCES DE LA ROUMANIE

Pendant l'été torride de 1947, la famine faisait rage. Une aide de vêtements et d'aliments des Américains nous parvint.

En Moldavie, l'acheminement se faisait à partir de Galatzi, grâce au pasteur protestant Milan Haimovici, qui fit le nécessaire pour que cette aide aux néces­siteux soit distribuée dans le délai le plus court, s'attirant ainsi la haine des autorités qui ne le lui pardonnèrent pas.

Il échoua dans les camps de travaux forcés où son comportement fut à la hauteur de sa mission.

Cette aide que les Américains envoyaient, tombait pour la plupart du temps entre les mains des autorités qui, par l'entremise de l'Union des Partis pro-communistes associés, se partageaient entre eux les vêtements et les aliments, habitude qu'ils conserveront longtemps, profitant ainsi du malheur des autres. En fait cette Union des patriotes réalisait des affaires sur une gran­de échelle. Elle s'emparait des wagons de sucre et de co­ton destinés à la population et les revendait au marché noir.

Entre temps la situation était devenue intolérable. Les fameux «trains de la famine» parcouraient le pays en long et en large, bourrés de gens, qui, sac au dos, cher­chaient à ramener des provisions à leurs enfants affa­més.

Combien de drames!

Beaucoup  périrent  dans ces pérégrinations. D' autres coup d'autres combines d'où il tirait profit. Cet homme continuellement préoccupé de ses problèmes personnels, essaya après l'arrivée des communistes de tirer son épin­gle du jeu. Avant les élections de 1946, il alla voir Petru Groza, dont il était l'ami, lui disant qu'il s'était détaché du PNP .refusant d'être tête de liste du département de Turda. On en tint pas compte et après le 14 juillet 1947 il se retrouva à Vacaresti avec son fils Pitu Pop.

Il n'eut pas le temps d'y user ses vêtements, car il pas­sa avec tous ses bagages du côté de l'adversaire, pour sauver son fils unique accusé de malversation dans une entre­prise. Parce que cette infraction honteuse de droit commun jetait une ombre sur les mœurs de la famille, le père se sa­crifia, acceptant de sortir de prison en qualité de membre de la commission de réintégration de Berlin. Certaines personnes, à force de compromis, réussirent à faire de la politique et d'autres à sauver leur famille de la prison. Et parce qu'un bienfait n'est jamais oublié, Ionel Pop envoya à son ami de chasse, l'écrivain Mihail Sadoveanu, un télégramme où il se déclarait d'accord avec l'abolition de la monarchie, ce qui eut pour effet un coup de fil que Petru Groza a donné à Voisianu, le doyen du barreau de Cluj, lui demandant de ne pas épurer Ionel Pop. Ce qui restait de ce chasseur politique fut invité à collaborer au journal «Glasul Patriei» (la voix de la Patrie), organis­me de la Sûreté payé pour répandre la propagande men­songère à l'étranger.

Zaharia Boila, un autre neveu, directeur du journal «Patria» (La Patrie) de Cluj, eut une attitude assez docile vis-à-vis de la Sûreté, mais cela ne l'empêcha pas de faire des séjours assez prolongés en prison. Nestor Badea, neveu de Mihalache, un de ceux qui profitèrent le plus de ses bon­tés, a donné un coup de main aux enquêteurs qui appré­cièrent son geste en lui rendant la liberté. Ion Popesco Mehedintzi, le filleul de Ion Mihalache, arrêté pendant cette période, quelque peu timoré à cause des pressions exercées sur lui, fut souvent arrêté, mais sans qu'on puisse lui intenter un procès. Mais sa santé s'en ressentit à jamais. Après la dissolution du parti, le professeur Zane et d'autres députés, essayèrent de goûter à la vie parlementaire. Quoique arrêté à la suite de ses discussions avec les commu­nistes, il fut libéré et collabora. J'assistai à des scènes péni­bles quand certains détenus pressentant le changement de cap de Ionel Pop et de Zane, leur demandèrent de penser à eux, après leur libération. Autres personnages décevants, l'avocat Stefanica de Caransebes, en entrant en prison était un dur combattant; une fois dedans il ne savait plus quoi faire pour en sortir. Je ne sais ce qu'il a fait, mais deux semaines après il était libre.

D'autres passèrent par là: le dr.Lucian Stancoulesco le chef du secteur 1 Jaune, mort en prison sans accepter aucun compromis; Aurel Leucutzia, président de l'organi­sation d'Arad, membre de la délégation permanente du PNP, qui fit plusieurs années de camp; l'avocat Georgesco-Tulcea, président de l'organisation du département de Tulcea, un homme d'initiative qui ne se laissait pas mener par le bout du nez dans ses discussions avec la Sûreté. Avec lui il y avait environ 7 paysans triés sur le volet: Slave de Nicolitel était un d'entre eux. Autres détenus: Vasilica Tartzia, directeur de l'usine «Nivea» de Brasov, homme de caractère très actif, un homme à part. Aidé par Seluca Manea, il mit au point le problème de la nourritu­re à la prison, contribuant à son amélioration; Costica Mihaesco surnommé «Costica du Coin», le propriétaire du restaurant place Vasile Lascar, président d'arrondis­sement, un homme de cœur en prison ou en liberté. C'était un ami pour tous, cherchant à aider les gens en difficul­té. Cet homme simple était un modèle de comportement en société pour beaucoup de gens soi-disant cultivés; le Dr. Gh. Busuiocesco, homme d'une force de caractère exceptionnelle.

La jeunesse était représentée dans la même prison par. Barbus Ion, Tartzia Mihai, Ion Manea, Ciacou Constan­tin, Victor Novae, D.  Ionesco, Gh. Jurebie, Ionitza C.V. Dumitru, Ghitza Mihalache, Paul Lazaresco, Ionica Grosianu, journaliste, homme de caractère comme le prêtre George Surdu, une âme distinguée. Nous nous débrouillâ­mes très bien côté cuisine, préparant nous-mêmes nos re­pas, qui bien entendu, avec l'aide substantielle de C.V. Dumitresco et Seluca étaient devenus plus consistants. Suivant notre exemple, des groupes moins importants se formèrent.

L'avocat Nicolae Sutza de Câmpulung-Muscel, qui avait pris la défense de Ion Mihalache  à son procès, côtoyait à  Vacaresti l'instituteur Ianco Bratulesco de Bughea, le major    Marinesco    de    Câmpulung-Muscel,   le   professeur Danciu,   président   de   l'organisation   de   Turnu   Severin, un homme sur qui on pouvait compter,  mais qui était mal­heureusement gravement malade. Il y avait encore: l'ing. Alexandru   Bunesco;   Victor   Isac,   professeur   et  écrivain condamné avec l'organisation «T»; Sârbu  C.,chef de l'or­ganisation Sarmisegetuza; Pitpinic, étudiant à l'Académie Commerciale de Bârlad; ceux qui avaient arrangé le départ de   Tamadau,   et   devaient   se   présenter  comme  témoins de l'accusation.    Le groupe de la section militaire du PNP, d'où   on   avait recruté  d'autres  témoins  de  l'accusation, était composé de: le général d'aviation Achile Diculesco, homme remarquable par son digne comportement, le colo­nel Stoica, très digne aussi; le général Stoica Grigore, des­sous de tout; le général Zorzor Vasile; le général Gheorghiu Emil; le général Gheorghe Alexandre, le 1t. comman­deur Cioroiu; le cap.  Commandeur Mocanu Gheorghe; le major Ticutza Mihaesco travaillant pour la Sûreté; l'adjudant Ganciaruc, exemple de caractère; Popesco Mehedintzi (pro­fesseur);  le  général  Negrei  Gabriel; le  lieutenant-colonel Demetresco Constantin; le lieutenant-colonel Panco Gheor­ghe; le capitaine Fetesco Ioan; le capitaine Zaharia Marin; le sous-lieutenant Walter Paul; Teodor Cazan; Gheorghe Albu; le   lieutenant-colonel   Vâlceanu   Ion;   Stefan   Mihailesco, le caissier du PNP; Rusu I. Vasile avocat de Tulcea; l'avo­cat Ionesco Gheorghe de Sinaia; l'avocat Radulesco de la commune de Radulesti, département de Vlasca; l'avo­cat Popesco Zorica, qui s'est plutôt mal conduit; l'avo­cat Nicou Iovipale de Craiova; Octavian Fedorciuc qui faisait partie des «Blousons Noirs»; le lieutenant-colo­nel Plesnila Eugen; Tzantzu Mihail, tous de l'organisation les «Blousons Noirs». Il y avait encore, à Vacaresti, le sergent Major Istrate Alexandru; le sergent-major Mo-canu Gheorghe. Du Ministère des Affaires Etrangères: Constantin Tzinco; Mihail Radulesco; Cecilia Radulesco Pogoneanu; Florica Spiresco; Neamtzu Octavian; Cârje Nicolae; Senti Ion; Tzancou Gheorghe; Ghitzulesco Dumitru; les frères Iorgulesco du département de Prahova. Parmi les autres: le colonel Eugen Popesco de Brosteni dépt. de Mehedintzi, fit une excellente impression partout où il passa et beaucoup admirèrent la dignité, la géné­rosité de cet officier d'état-major. La liste est longue. Il faut ajouter les noms : Octavian Constantinesco du Ministère des Affaires Etrangères, Alexandre Dodi Georgesco du même Ministère; le colonel Caracas; Stanesco Cezar, Brânzan de Golentzi dépt. de Dolj impliqué dans une organisation fabriquée par la Sûreté; Bratu, chef de la Sûreté de Craiova jusqu'au 6 mars, condamné à 25 ans de travaux forcés pour avoir donné une claque à Ma­rin Florea Ionesco, secrétaire du Présidium. En dépit de sa condamnation il était optimiste, un homme plein de verve. Par lui et par d'autres on put connaître les con­ditions de détention des prisons communistes; Chintesco Gheorghe, chef de service à S.S.I. originaire de Craio­va, témoin de l'accusation au procès de Iuliu Maniu; le général Constantin Aldea, condamné à vie dans le pro­cès des «Blousons Noirs», organisation créée avant les élections de 1946 en vue de préparer une résistance dans les montagnes (Ilie Lazar, Horatziu Comaniciu; Boila R. et Bosca Marin du PNP, Farcasanu Mihai, avec Bratiano Vintila du PNL y étaient impliqués aussi). A Vacaresti on vit encore Steantza D. et Paleaco N. (deux étudiants devenus les hommes les plus    actifs de la Sûreté dans les prisons qui s'occupaient de délation et de provocations, bagarres, perversions); Johan Schopp et Tonci de Piatra Craiului (des gens qui ont aidé et recueilli ceux qui étaient poursuivis, mais qui ont été trahis par le sergent Mocanu Gh. et Istrate, qui avant de devenir des traîtres, avaient été cachés 6 mois par ces deux personnes).

A Vacaresti il y avait à l'époque plus de 600 déte­nus. On recevait une fois par semaine des colis que la famille ou les connaissances nous envoyaient. On était informé au jour le jour de la situation politique interne et externe. On réussit à avertir ceux de l'extérieur que Paul Sava et Alexandre Dragulanesco étaient devenus des agents de la Sûreté. Certains prendront des précau­tions; pour les autres c'était trop tard.

Dehors, la misère régnait, le contenu des colis l'at­testait. L'inflation qui progressait à pas rapides était le symptôme d'une crise économique très grave. Dans ces conditions d'incertitude économique, à laquelle le gou­vernement n'était pas étranger, eut lieu le 15 août 1947, la première «stabilisation» de la monnaie, qui provo­qua la panique. Des gens se suicidèrent, d'autres devin­rent fous. Certains avaient des matelas remplis de bil­lets, personne n'osant plus les déposer à la banque. Du jour au lendemain ils avaient tout perdu.

Le premier dimanche suivant, plus de 80% des co­lis que nous recevions contenaient au lieu de pain, de la polenta. Je ne sais plus qui réussit à obtenir 1000 lei sta­bilisés qui nous servirent de fonds de roulement pour notre nourriture et nous sauvèrent la vie.

DE NOUVEAU SOUS ENQUETE

Environ une semaine après, je fus transféré au Mi­nistère de l'Intérieur pour un nouvel interrogatoire. On voulait m'impliquer dans une organisation des monts de Piatra Craiului . Je fus frappé et piétiné par un inspecteur nommé Bogdan, un tapissier qui avait chan­gé de nom. A la torture participèrent Deleanu et Sepeanu. Ce dernier fut nommé colonel à la Sûreté. Je résistai tant bien que mal à la torture, mais le plus grave est qu'ils cassèrent mes lunettes en me piétinant.

A cette époque on avait instauré un régime plus sé­vère au Ministère de l'Intérieur en vue du procès de Iuliu Maniu qui se préparait. Par tous les moyens on cherchait à rendre crédible l'argumentation des accusa­tions.

Pour ce faire, on avait besoin de témoins de l'accu­sation. A cette date il y avait beaucoup de détenus et parmi eux figuraient des membres de l'organisation des «Blousons Noirs» venus d'Aiud dans ce but, ainsi que Ghitza Pop réservé pour le groupe des partisans de Pia­tra Craiului.

En ce qui concerne cette prétendue organisation, les choses se présentaient de la manière suivante: aux élections de 1946, deux sous-officiers, Gh. Mocanu et Al. Istrate, refusant de faire le jeu des communistes, se joignent le lendemain 20 novembre à la population de la Vallée de Chiuesti pour partir à l'assaut de la ville de Dej. Ils sont poursuivis; un certain Rusu Gavril se joint à eux. Tous trois, se rendent à Bucarest accom­pagnés de Puiu Beldeanu. Ils furent aidés par Ghitza Pop. Prenant la route des montagnes, Mocanu et Istrate s'arrê­tent quelque temps dans les refuges. Mais ils se disputent et Istrate se rend, dénonçant à la Sûreté d'Arges ceux qui l'avaient aidé. Istrate, accompagné de gens de la Sûreté, se déplaça dans les montagnes pour arrêter toutes ces personnes.

A quelques jours de l'interrogatoire qu'on me fit subir, je fus appelé un soir dans un bureau où m'atten­daient Avram Bunaciu assis et Dulgheru debout: «Nous vous avons fait venir pour discuter avec vous; vous êtes trop jeune pour mourir en prison», me dirent-ils. «Qu'y a-t-il encore à discuter après tout ce que vous m'avez fait? Vous voulez plutôt me tuer». «Comment pouvez-vous dire cela?» Je leur montrai mes cheveux collés par le sang, mon visage égratigné, les coups reçus aux côtes; je leur dit qu'ils avaient cassé mes lunettes. «Qui a fait cela?» «Bogdan, Sepeanu et Deleanu.» Alors Avram Bu­naciu dit à Dulgheru de me remplacer en deux jours les lunettes.

Le lendemain, on m'emmena chez le docteur; 3 jours plus tard on m'apportait mes lunettes.

A cette époque, je logeais quelques jours avec Dodi Georgesco, secrétaire à la légation au Ministère des Af­faires Etrangères, puis je partageais la cellule du colonel Eugen Popesco amené de Vacaresti pour être interrogé. On prétendait qu'au mois de juin 1947, passant des va­cances au refuge de Plaiul Foii, il aurait discuté avec Istrate, sous-officier réfugié dans les montagnes de Piatra Craiu­lui, auquel il aurait promis des cartouches. Cette promesse lui coûta une condamnation de 6 mois.

De l'extérieur nous apprîmes qu'à cette date toutes les enquêtes se rapportaient au procès de Maniu pour lequel on cherchait partout des témoins de l'accusation. Parmi ceux qui devaient subir un interrogatoire se trou­vaient Piky Pogoneanu et sa femme, Camil Demetresco, une dame suspectée d'avoir eu une valise contenant des documents; Alex   (Dodi)   Georgesco,  Octav Constantinesco, Niculesco Buzesti, qui avait un frère à l'étranger, Mocsonyi Stârcea, le général Gh. Mihail de l'entourage du roi.

Le dimanche 7 septembre, vers 10 h, on me sortit de ma cellule, sans effets et on m'emmena à la salle de ser­vice, où se trouvait le bourreau Brânzaru. J'étais un peu intrigué, car on ne me demandait rien. Mais c'était leur méthode: l'attente avant l'interrogatoire, devant un of­ficier de la Sûreté, avait pour but de vous mettre mal à l'aise. Il fallait se maîtriser, paraître calme; cela m'était assez difficile, car je connaissais leur méthode. Après u-ne vingtaine de minutes d'attente, je vis arriver deux agents qui me mirent des lunettes noires, c'était la premiè­re fois depuis mon arrestation. Ils me prirent les bras et me conduisirent à une voiture. Je me rendis compte qu'on était sur la Calea Victoria et qu'on passait à côté du Tri­bunal. Après environ 500 mètres on pénétra dans une cour où on attendit une demi-heure environ dans la voi­ture, après quoi on me ramena au Ministère de l'Intérieur où se trouvait ma prison. Quelle était la raison de cette promenade? Je ne me cassai pas la tête pour le savoir, sachant qu'il n'y avait aucune logique dans tout ce qu'ils faisaient.

Vers la fin de septembre, un soir, je me trouvais de nouveau dans le bureau de Bunaciu, qui me dit que j'a­vais meilleure mine. Il commença par me demander com­ment ça allait, si je me sentais malade, si la nourriture était suffisante. Il ajouta qu'il voulait m'aider, que ce serait vraiment dommage de passer ma jeunesse en pri­son, ce qu'il m'avait déjà dit lors de notre dernière en­trevue. «C'était très bien, lui ai-je répondu et c'est normal puisque j'ai rendu des services à la Sûreté.» «Comment ça? demanda Dulgheru qui était présent». «Vous ne sa­vez peut-être pas que j'ai été arrêté pour avoir diffusé des tracts à l'ordre du Ministère de l'Intérieur avec le concours de votre agent Paul Sava. C'est lui qui m'a ap­porté le Gestatner, c'est lui qui m'a fourni le papier et c'est encore lui qui est allé me dénoncer. Donc, après avoir fait notre devoir on nous a arrêté, on nous a frappé et maintenant on essaye de nous préparer quelque chose qui ressemble à un procès. Vous avez raison et il est juste  de votre part  de vouloir nous rendre la liberté».

J'eus l'impression qu'ils étaient un peu abasourdis par mon argument.

«Cessez de plaisanter, riposta Bunaciu. Vous ne pou­vez pas nier que vous avez agi à l'ordre du PNP, ce que d'ailleurs Coposu a reconnu, car c'est lui qui a payé le transport». «C'est juste, mais c'est plutôt Paul Sava qui l'a payé avec l'argent de Coposu, mais c'est l'agent de la Sûreté qui a joué le rôle principal dans cette affaire.» «Réfléchissez, tout ce que vous aurez à dire sera que le PNP était au courant de l'affaire des tracts, pour le res­te, les autres se chargeront, et vous serez libres.» «A ce que je vois, vous êtes en train de chercher non seulement des témoins, mais aussi des accusateurs. Souvent les accu­sateurs peuvent se transformer en défenseurs s'ils disent la vérité» répondis-je. «Vous pouvez partir, mais réfléchis­sez et si vous avez besoin de quelque chose, faites le moi savoir.»

Les préparatifs du procès entraient dans leur der­nière phase. Pendant environ un mois, nous eûmes un régime alimentaire exceptionnel. On servait deux sor­tes de plats, plus un dessert. Tout le monde ne rêvait que de libération. Tous nous ne souhaitions qu'une seu­le chose, la fin du procès pour rentrer chez nous. Mais il était à supposer que les promesses de liberté devaient se traduire par des dépositions condamnant Iuliu Maniu. Tout était mis en œuvre dans ce but. Au sous-sol on ne parlait que de cela et des changements survenus. On changea même les vêtements des enquêteurs et des gardiens. Ils portaient du cuir ou simili-cuir et étaient très fiers de pouvoir ainsi montrer qu'ils étaient quel­qu'un. Ce procès revêtait une grande importance pour eux. Un jour le gardien Bob oc de Mehedintzi vint nous dire: «Les gars, un de ces quatre matins je viendrai fêter votre libération au son du cor.» Vous pouvez vous imaginer que les commentaires allaient bon train. Donc cela se confirmait. Qu'allaient-ils décider? La politique menée dans le passé apparaissait maintenant aux yeux de beau­coup sous un nouvel éclairage. On ne tarissait pas d'élo­ges à l'adresse des enquêteurs et cela était fait à haute voix pour être «communiqué» en haut lieu, lorsque nous serions appelés.

Minable! C'est à des moments pareil qu'on peut juger de la vraie valeur des hommes. Quelques jours avant la St. Dumitru, tous ceux qui étaient accusés dans le procès de Iuliu Maniu quittèrent le Ministère de l'Intérieur (la prison). Pendant ce temps, le questeur Curelea et Niculesco Stefan vinrent nous demander nos adresses et nos désirs en ce qui concerne les colis que nos familles nous envoyaient. Lorsque vint mon tour, je dis que j'é­tais seul et que toute ma richesse était avec moi. «Voy­ons Cici, sois bon prince!» «Être bon prince c'est de sa­voir garder la tête sur les épaules et comment s'en ser­vir. »

En 48 h les colis contenant des vêtements arrivè­rent et les voitures de la Sûreté nous livrèrent le tout «à domicile ».

Quelle promptitude! Des hommes de parole! Des louanges se faisaient entendre.

Finalement, le moment de la déposition des témoi­gnages était arrivé. Cela dura deux jours. Les témoins étaient emmenés en voiture par groupes. On apprit par eux que le procès avait lieu à l'Ecole Militaire.

Ceux qui avaient témoigné au procès avaient perdu leur sommeil. Ils rêvaient en attendant le départ. Au moin­dre bruit dans le couloir ils se précipitaient à la porte espérant d'entendre la nouvelle tant attendue! On aurait dit  que les gardiens faisaient  exprès de se déplacer plus souvent dans les couloirs. Mais il arriva tout à fait autre chose. La nourriture devint très mauvaise, il n'y avait plus qu'un plat, une sorte de soupe sans rien dedans, accom­pagnée de 100 grammes de polenta. «C'est sûrement un signe de notre proche libération» disait le lieutenant-co­lonel Ticutza Mihailesco, cela ne devrait plus tarder main­tenant...»

C'est sûr, nous devions partir. Deux jours après nous partîmes en effet, mais pour Vacaresti. On nous avait tout simplement changés de prison. Là, nous apprîmes des détails sur le déroulement du procès. Je sus que mon nom avait été inscrit sur la liste des témoins mais on avait marqué: absent. Pendant le procès, dans la rue ça chauf­fait. Des milliers de tracts de protestation avaient été dif­fusés dans la Capitale ainsi que des papillons imprimés, lancés à l'Université, au marché d'Obor, à la gare de Filaret et ailleurs. La jeunesse était en effervescence. L'ac­tivité ne se déroulait plus au club, on était entré en clan­destinité. Les dirigeants de la jeunesse: l'ingénieur Puiu Ion, l'avocat Bratu Alexandru, l'ingénieur Diaconesco Nelu se réunirent 45, rue Fabrica de Chibrituri, décidant de prendre des mesures immédiates contre la mise en scène du procès de Iuliu Maniu.

Les réunions d'études par facultés et années conti­nuaient normalement. Mais la Sûreté était aux aguets. Paul Sava et Alexandre Dragulanesco avaient reçu des or­dres pour dépister tous ceux qui n'avaient pas renoncé au combat, et pour donner le change, il fallait même les encourager. J'avais pourtant averti depuis la prison qu'il fallait se méfier de ces deux personnes, on m'écouta pas et après le procès de Maniu on arrêta 200 jeunes, victi­mes de la trahison de Sava et Dragulanesco.

Le mois de décembre fut une grande déception pour les témoins de l'accusation. Leur rêve de libération s'était évanoui. Mais ils continuaient à espérer. Ils ne pou­vaient pas ne pas tenir parole, pensait le général Stoica. Ils avaient été bien traités, on leur avait amélioré leur nourriture, ils avaient reçu des colis avec ce qu'ils avaient deman­dé, le général avait même reçu un lit pliant, il était donc permis d'espérer.

Au mois de novembre on amena l'avocat D. Iones­co qui avait fait partie du comité directeur de l'Associa­tion des jeunes amis des Anglo-Américains. Il arrivait de Malmaison où pendant quatre mois on l'avait fait surveil­ler dans ses moindres mouvements par un berger allemand. C était dur et on ne réussit pas à le convaincre de déposer contre Maniu.  Presque en guenilles, très pâle, il ne réali­sait pas encore qu'il n'était plus   sous la menace des cani­nes de l'affreux chien. Il était l'ami de Gh. Minai tué par Dorobantzu   à   Pitesti  devant  le   tribunal.   Il  parlait avec beaucoup   d'admiration   de  son   ami   enterré   à   Vâlsanesti  et  se  rappelait  entre  autres   son  professeur  d'histoire Alexandre   Vasilesco   de   Manastirea   Dealului,   qui   avait appris à ses élèves l'amour de la patrie. Cet éminent pro­fesseur fut tué par les communistes qui ont armé la mê­me main criminelle de Dorobantzu en mars 1946 à Târgoviste   au  cours  d'un     attentat   dirigé  contre le profes­seur   Cezar Spineanu,   président  de  l'Organisation  dépar­tementale de Dâmbovitza. Dumitru Ionesco devait compa­raître   au   procès   de   la jeunesse   universitaire   nationale-paysanne.

Parmi les 200 jeunes arrêtés le 2 décembre se trou­vaient aussi quelques femmes: Lelia Mihailesco, Vali Alexandresco,  Ileana  Danatzoiu,   Sanda Matei et 4 autres.

 

DE NOUVEAU VERS LE MINISTERE DE L'INTERIEUR

Dans la première décade du mois de décembre je fus emmené à la prison du Ministère de l'Intérieur. Sous la coupole de l'entrée je rencontrai un groupe de connais­sances. Victor Coconetzi me dit qu'il y avait environ 200 personnes arrêtées parmi lesquelles: Ion Puiu, Nelu Diaconesco, Adamesco, Sergiu Macarie, etc. Je me rendis compte que tous les dirigeants de la jeunesse y étaient et c'était certainement pour cela qu'on m'avait changé de prison.

Je m'étais trompé. Le premier dimanche, lunettes noires au nez, on m'emmena à la Sûreté de la Capitale. Là, dans le bureau garni de fauteuils de cuir trônait une personne que je ne connaissais pas, plutôt obèse.

Il s'adressa à moi ainsi: «Comment allez-vous, mon­sieur? Je ne savais pas que vous aviez des usines à défen­dre. Je pensais que vous étiez plutôt de condition modes­te et qu'on vous exploitait.»

Je réalisais que ce devait être l'avocat Mircea Lepadatesco. Il avait fait ses études de droit à Paris, après 1930. A l'époque, il était membre du Parti National Libéral. A la suite d'un conflit qui avait presque fini en duel avec le fils de C. Angelesco, Mircea Lepadatesco, constatant qu'il n'y avait plus d'avenir pour lui dans P.N.L.,était passé au Parti National Paysan, continuant à fréquenter les milieux socialistes de gauche sous le prétexte bien connu selon lequel: «II n'est pas inutile de connaître les problèmes du marxisme, car on ne sait jamais s'ils ne pourront pas servir..»

De retour au pays, il s'inscrivit sur la liste des défen­seurs d'Ana Pauker, accusée d'espionnage au profit des so­viétiques. Cette femme traître arriva avec les fourgons russes après 1944 et Lapadatesco devint son conseiller. C'est lui qui dirigea la mise en scène judiciaire contre le Parti National Paysan, qui manigança tout pour justifier les con­damnations. Son père, le colonel Lepadatesco était notre voisin à Craiova et je fus plusieurs fois dans sa cour, mais nous n'avons jamais discuté politique. Comme nous par­lions, la porte s'ouvrit et j'aperçus Coman, ancien étu­diant à la Faculté de Letrres, qui entrait; ils échangèrent quelques mots. Lorsque Coman fut parti, Lepadatesco me demanda si le connaissais. «Bien sûr, lui répondis-je. C'était un bon à rien, un homme sans caractère. C'est à cause de lui que j'avais été mis à la porte du Foyer de Pake.» Mais sans doute s'est-il rendu compte par la suite des réalités, car aujourd'hui il enseigne à l'école de Po­lice.

Dans l'entretien qui suivit, Mircea Lepadatesco me dit que ma mère était désespérée; elle me croyait mort car j'avais été porté absent au procès Maniu. «Je l'ai ras­surée en lui disant que nous, nous ne tuons pas. Reste à savoir, ajouta Lepadatesco, ce que nous pouvons faire pour vous. Il faudra que vous nous donniez un coup de main». De nouveau la même histoire. «Vous savez sans doute que Maniu et les dirigeants du Parti National Pay­san ont été condamnés?» «Oui, je suis au courant.»

«Il ne nous reste plus maintenant qu'à justifier les accusations par une série de procès. Pourquoi avez-vous refusé de faire une déposition?» « Parce que je ne pouvais dire que la vérité!» «La vérité! Des mots. Vous êtes mal parti, voyons ce qu'on pourra faire à partir de maintenant. Il faudra que l'organisation de la jeunesse universitaire reconnaisse qu'elle a exécuté les ordres du Parti National Paysan. On vous donnera d'un ou deux ans. Vous avez déjà 6 mois. Vous ferez quelques mois encore, il y au­ra un décret de grâce et vous sortirez de prison». «Je ne m'engage à rien», lui répondis-je. «Cela ne fait rien. Je ferai venir Barbus et Manea et j'arrangerai un entretien et vous pourrez discuter avec eux et décider. Ensuite il faudra faire attention car si vous récidivez, personne ne pourra plus rien pour vous». «Je vous répète que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait de ma propre initiative, tout au plus sur la suggestion du M.A.I. qui nous a aidé par l'entremise de Paul Sava». «Prenez garde de ne plus causer de soucis à votre mère qui a eu sa part avec vous en prison et votre frère mourant.»

Lorsque je sortis de prison j'appris que ma mère, croyant que j'avais été tué, était allée le trouver dans son désespoir et lui avait fait cadeau d'un très joli tapis d'O1ténie.

Je me demandais tout en parlant avec un ami, com­ment Lepadatesco avait pu accepter un tel cadeau quand il savait dans quelles difficultés se trouvait ma mère. «Eh bien oui, il a tout simplement accepté le cadeau de ses deux mains», me répondit mon ami.

Au mois de juillet 1947 Ghitza Pop fut arrêté. J'ai décrit plus haut la mise en scène de son procès. Il fut condamné à 10 ans de prison, grâce à Mircea Lepadates­co et envoyé à Aiud. Et monsieur le conseiller, après avoir mis à la porte la femme de Ghitza Pop, prit son logement 5, Splaiul Unirii. Une telle morale du prolétariat méri­te d'être donnée en exemple.

Comme on me l'avait promis, Seluca Manea arriva et je pus avoir une conversation avec lui, de cellule à cellu­le. Je lui expliquai la raison de cette entrevue. Je lui ai dit que j'étais d'avis qu'on ne pouvait pas s'engager sur la voie des tractations. Il fut d'accord. J'ignore ce qui se passa après. Aucun de nous ne fut convoqué pour interrogatoi­re et Barbus n'est jamais venu.

Par contre, Mircea Lepadatesco est resté la même canaille. Il s'occupait de la mise en scène de tous les pro­cès contre le P.N.P. Il ne fit jamais le moindre geste pour qui que ce soit. Il évitait même ses anciens camarades d'études. Sa conscience, s'il en avait une, l'empêchait de prendre part aux réunions annuelles; il envoyait cha­que fois une lettre d'excuses. Pour tous ses services, les communistes le nommèrent professeur universitaire, puis doyen à la faculté de droit. Mais ce sont les mêmes com­munistes qui furent forcés de lui enlever toutes ses fonc­tions et de le mettre à la porte pour immoralité (homo­sexualité).

Je devais retourner à Vacaresti, une dizaine de jours plus tard, à la veille de Noël.

Pendant mon court «séjour» à la prison du Minis­tère de l'Intérieur, j'avais pu recueillir quantité d'infor­mations sur le groupe arrêté le 2 décembre et sur le com­portement indigne de Paul Sava et Alexandre Dragulanesco dans cette affaire. Un coup dur porté à notre organi­sation, qui perdait ainsi plus de la moitié de ses membres actifs.

Pendant le trajet qui menait à la prison du Minis­tère de l'Intérieur, dans la voiture de la Sûreté, deux étu­diants, Codin Bucoveanu de l'Ecole Polytechnique et Mircea Selten de la Faculté de Médecine, divulguèrent les noms de ceux qui n'étaient pas encore arrêtés. Arri­vés à la prison ils continuèrent leur sale action en livrant aux communistes le schéma de l'organisation des jeunes pour la ville de Bucarest. A cette occasion furent arrêtés: l'ingénieur Ion Puiu, président de la jeunesse, Mihai Tartzia et Augustin Visa, ainsi que des présidents de la jeunesse na­tional— paysanne. Ion Puiu dirigeait l'imprimerie où parais­sait le journal «Dreptatea». Il était toujours prêt à lutter pour défendre la liberté menacée par la dictature commu­niste.

Infatigable, d'une ponctualité rare, il travaillait au cer­cle d'études et au bureau qui s'occupait de la réorgani­sation de la jeunesse.

Il fut arrêté et condamné à 20 ans de prison. L'ac­tivité   qu'il   mena pendant   cette  période  force  l'admiration.

L'ingénieur Ion Diaconesco , plus préoccupé des problèmes économiques, a compris que notre nation ne pourra être sauvée que si on lutte contre la dictature. Originaire de Muscel, il avait pu constater la prospérité de la coopérative de Ion Mihalache à Topoloveni, il était partisan lui-même d'une amélioration du niveau de vie des paysans dans un régime démocratique. Il souffrait beaucoup en prison mais fut toujours du côté des oppri­més, prenant leur défense et protestant contre le travail forcé et l'abaissement de la dignité humaine.

L'avocat Nicolae Adamesco, homme très droit, es­prit démocrate, convaincu que la morale chrétienne était à la base des relations sociales. Il souffrit beaucoup sous ce régime qui cherchait à détruire l'homme.

L'avocat Sergiu Macarie de Vrancea une solide for­mation juridique et économique, ancien élève de Madgearu, esprit large et compréhensif, adepte d'un régime pluraliste, fut présent en prison cinq années.

L'avocat Nicolae Martin, chef d'arrondissement de la jeunesse du PNP de Bucarest, homme très cultivé, honnê­te, dévoué aux idéaux de liberté et de justice fut sympa­thisé par tous ceux qui l'ont connu. Il resta plus de 8 an­nées à la prison d'Aiud, s'imposant à tous pour sa vie chrétienne et son amour du prochain. Il connut les rigueurs du régime répressif de Dorobantzu, étant souvent enchaî­né dans la cellule noire, participant à de nombreuses grè­ves. Mais ce régime draconien visa complètement sa santé. Sorti de prison, un cancer se déclara, qu'il supporta stoiquement. Son meilleur ami, Victor Coconetzi, ne le quitta point pendant sa maladie. A son enterrement assistèrent presque 1000 personnes, tous des amis. La Sûreté filma la cérémonie et ouvrit une enquête qui finit avec la mort de Victor Coconetzi, son meilleur ami.

Evolceanu Nicolae, étudiant en médecine, condamné a 25 années de prison par contumace. Il fut arrêté en 1953.

L'avocat Bratu Alexandru fut condamné lui aussi à 25 années de prison par contumace. Ancien secrétaire du département de Falciu, ancien président de l'Associa­tion des Jeunes amis des Anglo-américains, il était pré­sent partout où il s'agissait de sauver le pays de l'occupa­tion étrangère. Obligé de vivre dans la clandestinité, il continua de propager l'idéal de la démocratie, partout où il passa. Arrêté, il dût affronter au Canal de la Mort le bourreau Vasile Matei, réussissant à s'imposer aux cô­tés de beaucoup d'autres qui défendaient comme lui la dignité de l'homme. Il connut aussi la déportation au Baragan.

Mahlenschi Nicolae, fonctionnaire.

Dumitresco Alexandre, condamné à deux années de prison.  Autre victime innocente de Codin Bucoveanu.

Mares Cornel, étudiant en médecine.

Dumitresco Ilie, étudiant à l'Académie, domicilié à Floreasca. Il contacta, à cause des tortures et des tra­vaux forcés, une grave affection du cœur dont il mou­rut deux ans après sa sortie de prison, laissant un enfant qui ne pouvait même pas dire qu'il avait connu son pè­re.

Petreanu Nie, étudiant en médecine. Homme calme et doux il dût subir non seulement le régime de dégrada­tion morale de Pitesti, mais encore les travaux forcés. Il réussit en dépit de tout à garder son équilibre, mais il en sortit physiquement atteint.

Yirgil Ion, étudiant; Serbeniuc, étudiant à la Facul­té de Médecine.

Ionesco Xicolae Galbeni, un homme qu'on voulait détruire à tout prix. Torturé, il tomba gravement mala­de à Pitesti et fut expédié à l'hôpital de Târgu Ocna, où se   trouvait Nutzi  Patrascanu, le bras droit de Tzurcanu.

Ionesco-Galbeni   s'opposa      avec  d'autres,  au    sys­tème   diabolique   de   liquidation   des   détenus  atteints  de tuberculose dont certains    vivaient leurs derniers instants.

C'est  ce  que les communistes appelaient la convalescence. Ayant accompli sa peine de prison il connut plusieurs camps d'où il sortit finalement malade. Son comporte­ment digne, son honnêteté furent appréciés par tous ceux nui l'ont connu. Mais la Sûreté ne renoncera pas à ses desseins criminels.

Comsa Stelian, étudiant à l'Académie Commercia­le, un homme correct, aimé de tous. C'était une des ra­res personnes qui n'avaient pas d'ennemis. D'une hon­nêteté hors du commun, il passa par la terreur déchaînée et put se sauver grâce à la solidarité collective. C'é­tait un travailleur consciencieux des brigades de construc­tion.

Nicou Tomaziu, ingénieur dans les textiles. On ne lui permit pas de se consacrer à sa carrière. Jeté dans le tour­billon des travaux forcés, il a beaucoup souffert mais il réussit à s'en sortir. Homme tranquille et retiré, il vécut dans sa chair la douleur d'une génération sacrifiée.

Le nombre considérable des personnes arrêtées ne me permet pas de me rappeler tous les noms. Je me souviens encore vaguement seulement d'un certain étudiant Oantza, victime innocente de Mircea Selten.

Ce même 2 décembre on arrêta un groupe de 15 personnes qui constituaient le groupe des ouvriers de­vant justifier par leur activité l'un des chefs d'accusation du procès de Iuliu Maniu.

L'ingénieur Ion Vetzeleanu, originaire d'Olténie fut le plus remarquable de nous tous; vivant selon les préceptes de la morale chrétienne, il était pour beaucoup la source d'eau vive qui apportait vérité et lumière. J'ai rencontré des prêtres qui savaient parler, consoler -l'in­génieur Vetzeleanu était de ceux-ci. Par son calme, sa tenue et sa sérénité, il éveillait dans chacun l'espoir et savait découvrir dans le cœur de l'homme le désir d'ai­der son prochain. «Aime ton prochain comme toi-mê­me», tel était l'encouragement que l'on pouvait lire dans ses yeux. «Que ta seule et unique arme soit ta parole pour te défendre contre tes ennemis. C'est la seule façon d'apprivoiser la bête qui sommeille dans ton cœur». Ja­mais personne ne le vit fatigué ou ennuyé quand il était au milieu des gens et surtout des ouvriers auxquels il con­sacra ses dernières années. Je l'ai connu dans son activi­té infatigable, dans les réunions où l'on développait la doctrine du parti. Ses études et tout ce qu'il faisait, tout convergeait vers les principes de base qui devaient guider les hommes à réaliser une meilleure vie dans un monde meilleur, aspiration de toute l'humanité. Je l'ai connu aussi en prison. Même dans sa condition de détenu, puni ou enchaîné, il est toujours resté la tête haute, prêt à continuer son activité de réconciliation et de fraterni­sation.

J'ai insisté sur la personnalité de cet HOMME qui eut une grande influence sur son entourage et qui fut un soutien pour beaucoup d'entre nous dans ces moments difficiles.

Si quelqu'un me demandait de lui indiquer une person­ne qui s'est sacrifiée pour le bien d'autrui, je lui répon­drais la main sur le cœur qu'il m'a été donné d'en connaître trois: Iuliu Maniu, Ion Vetzeleanu et Remus Ra­din a.

Dans le groupe qui se forma autour de Ion Vetzeleanu la grande majorité était constituée par des ouvriers:

Matrache Andrei, chauffeur, un homme très honnête, prêt à se sacrifier pour l'intérêt des autres. Il a beau­coup souffert à cause de son attitude décidée et coura­geuse. Les chaînes et la cellule noire furent la récompense de cet homme pour les efforts qu'il fit en vue d'améliorer la situation des autres détenus. On le tortura et sa santé s'en ressentit durement. Même malade il ne fut pas épar­gné. On le piétina, mais il se releva en accusant ses tor­tionnaires. Il passa ses dernières années en prison, dans les hôpitaux. Son estomac et son cœur portaient l'empreinte de ce qu'il avait subi. On alla jusqu'à mettre dans sa nour­riture du ver pillé. Cette barbarie s 'ajouta à beaucoup d'autres à Aiud.

Tricorache, ouvrier du quartier d'Obor. Petit de taille comme Matrache, il fit tout pour ne pas accepter l'humiliation. Il souffrit beaucoup et injustement. C'était un homme qui aimait la justice et la liberté.

Brânzoi Mitica, un homme qui réussit à prouver qu'on peut garder sa dignité, même devant les humi­liations. Un autre exemple de don de soi et de sacrifi­ce.

Nicoulesco, ouvrier. Il habitait rue Vlad Tepes, à Bucarest. Il fit de la prison pour n'avoir pas voulu pac­tiser avec le mensonge et la terreur. Il subit d'innombra­bles punitions, mais ne se départit jamais de sa condition

d'homme.

Maria Achim d'Albesti, de la région Târnava entra en prison étant encore enfant. Elle rêvait d'un monde meilleur, mais les tortures abîmèrent sa santé.

Grasu, un ouvrier honnête qui souhaitait vivre dans un monde juste. Il ne connut que les larmes et la souf­france, ainsi que Ghitza Tompea, dont il partagea le sort. Bercaru  Vasile,   poète  et  peintre.   Homme   sensible, il ne put rester passif    devant les injustices et les souf­frances du peuple.    Il faisait partie du groupe d'hommes qui essayaient d'aider les ouvriers dans les problèmes qui les préoccupaient. Protestant contre les atteintes à la dignité humaine, il  connut pour cela la misère et la terreur d'Aiud, Midia, Jilava.   On persécuta même son frère qui n'avait rien à voir dans cette affaire.

L'avocat Teodoresco Ticou. Très actif dans l'or­ganisation des ouvriers, il passa 10 années dans les pri­sons d'Aiud et au Canal de la Mort.

Lambru Ion, dit Constantin. Entré par erreur en prison. Sa place aurait du être depuis longtemps au­près  de ceux qu'il sert aujourd'hui, s'il    est encore    en

vie.

Je passais les fêtes de Noël à Vacaresti.