LA GUERRE CONTRE L'EGLISE

La politique de suprématie de l'URSS s'est exercée autant sur le plan politique que sur le plan spirituel.

Les grands dignitaires de l'Eglise, de nombreux mem­bres du clergé et d'innombrables fidèles ont été extermi­nés par les méthodes barbares de l'envahisseur pour avoir refusé d'abjurer leur Foi.

Le Kremlin poursuivit sa politique d'annexion territo­riale et de dirigisme spirituel avec beaucoup de suite dans les idées et cela dans tous les pays où les soviétiques s'in­filtrèrent directement ou par les agents communistes.

Des pressions furent exercées sur l'église gréco-catho­liques de l'Ukraine sous-carpatique, mais ni Mgr. Romyra, ni le clergé ne cédèrent. L'évêque gréco-catholique fut accusé de fascisme et fut victime d'un attentat le 26 octobre 1947, qui se solda par sa mort.

Le Cardinal Stepinac fut condamné en Yougoslavie, aux travaux forcés à perpétuité.

La concession d'une liberté religieuse relative à la Foi toujours vivante du peuple et la pseudo-reconnaissance du Patriarcat de Moscou comme autorité supérieure de l'Eglise orthodoxe, furent des comédies jouées par le N. K.V.D. à l'intention des Grandes Puissances de l'Ouest.

La nouvelle politique du pouvoir soviétique face à l'église et à l'Ouest fut un mensonge. Tous les régimes totalitaires ont essayé d'asservir l'Eglise pour servir leurs propres intérêts et la détruire ensuite.    L'Eglise roumaine posait un problème aux valets moscovites de Bucarest, pour la solution duquel ils cherchèrent des collaborateurs jusqu'au sein de l'Eglise orthodoxe instruments dociles, dont nous croyons qu'ils ne représentent pas l'orthodoxie véritable.

 Les prêtres subissaient des pressions de plus en plus andes. En 1946 des arrestations furent effectuées parmi Les prêtres des deux églises, sous des prétextes variés.

 Le Patriarche Nicodim, malade et découragé, le 27 février 1948, fut aidé par le «soin fraternel» de Teoctist Arapasu à trouver plus vite la paix éternelle en lui dosant ses médicaments.

 Le Métropolite Irineu Mihalcesco gagna la paix éter­nelle dans les mêmes conditions. Comme il souffrait du cœur, le célèbre Teoctist se chargea de lui doser ses médi­caments de telle manière que malgré tous les secours donnés par les médecins, il ne put être sauvé.

 Le siège patriarcal fut arraché par un certain Ma­rina.

 Toute la lutte se cristallisa alors autour de la volon­té de détruire le catholicisme puisque les chefs ortho­doxes avaient accepté de devenir, après les syndicats, la troisième courroie de transmission d'asserviment de la Rou­manie. On vit des prêtres membres des syndicats et même possesseurs d'une carte du parti communiste ou des for­mations d'obéissance communiste.

 Pendant ce temps, l'évêque gréco-catholique de Blaj, Ion Suciu, animé d'un grand courage, déclarait qu'une collaboration entre le christianisme et le matérialisme mar­xiste athée était impossible.

 Le temps l'a prouvé.

 Lors de l'instauration du Patriarche Justinian-Marina, les nouveaux dirigeants de l'église orthodoxe entrèrent en lutte contre l'église catholique.

 Le système communiste avait donc de nouveau réussi a dresser les uns contre les autres ceux-là mêmes qui au­raient dû s'unir pour lutter contre l'athéisme.

 Toutes les occasions furent utilisées pour attaquer l'Eglise catholique latine et l'Eglise gréco-catholique.

 Ces  attaques  de plus  en plus répétées, ces appels à la destruction de l'Eglise catholique incitèrent le métro­polite d'Alba-Iulia, Ion Suciu à visiter les villages de Transylvanie pendant tout le mois de juin. Il encourageait les croyants, leur expliquait le danger qui menaçait leur église et les vrais buts que poursuivait le communisme. Pour la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul il fit pu­blier une lettre dans laquelle il disait entre autres:

«Par son union à l'église catholique le peuple rou­main s'était délivré du mensonge. La route vers la science lui fut ouverte et ses fils les plus démunis ont pu, à côté de ceux des riches, profiter de la lumière de cette scien­ce. La Sainte Union des Eglises a formé des hommes capa­bles et pleins de courage. Le peuple roumain de Transyl­vanie s'est opposé à l'esclavage, au joug avilissant des pri­vations, à la misère et à l'oppression. C'est grâce à cette Sainte Union que les esclaves ont levé la tête, que les serfs ont secoué leurs chaînes et sont même arrivés à ceindre la mitre épiscopale, à gagner les lauriers de la poésie ou à devenir de grands savants. C'est cette Sainte Union qui a formé ces grands hommes qui ont réussi à inscrire dans la vie de ce pays d'opprimés les droits des hommes que Dieu a créés, égaux entre eux et qui avant cette Union étaient plus maltraités que des bêtes.

Restons unis dans la foi de nos ancêtres, cette foi qu'ils nous ont transmise malgré les souffrances et les vicissitudes, et faisons en sorte que nos descendants ne nous maudissent pas d'avoir parjuré nos croyances».

En juillet 1948 fut convoqué à Kremlin le Congrès Pan-Orthodoxe, qui marqua la mainmise sur l'Eglise ortho­doxe et le déclenchement d'une campagne virulente con­tre le Vatican que l'on accusait d'impérialisme et d'ingé­rence dans les affaires des Etats.

Immédiatement, par la loi de «Réforme de l'Ensei­gnement» toutes les écoles confessionnelles de toutes les catégories furent étatisées et l'Etat s'octroya un rôle de contrôle sur les instituts de théologie eux-même. L'Egli­se gréco-catholique ne se laissa pas impressionnée.

En même temps, les mêmes choses se passèrent en Hongrie, où le Cardinal Mindszenty protesta avec véhémen­ce.

Contre les abus du gouvernement communiste rou­main, Son Ex. Mgr. Gérard Patrick O'Hara, Nonce Apos­tolique,  protesta aussi en faisant état du traité de paix:

«...Ces engagements solennels ont été cependant violés. La Nonciature Apostolique se réfère à l'action entreprise non pas par des éléments irresponsables, mais par les autorités civiles elles-mêmes pour forcer le clergé gréco-catholique à renier sa Foi... en contradiction évidente avec les principes de liberté et d'égalité de tous les cultes, on a dévoilé, surtout par les moyens utilisés pour obtenir les signatures, son vrai caractère de persécution religieuse. Les prêtres ont été emmenés souvent par la force dans les préfectures, dans les locaux de la Sûreté et intimidés, menacés de prison, de séparations de leur fa­mille, de déportation ou de mort;

Ceux qui résistèrent aux premiers actes de violen­ce furent jetés dans les cachots, suppliciés, soumis à des interrogatoires exténuants et libérés après avoir accepté de signer, épuisés par ces procédés inhumains des bour­reaux... Devant cette inqualifiable attitude du gouver­nement roumain... la Nonciature Apostolique, au nom du Saint Siège et au nom du monde chrétien entier, pro­teste avec toute l'énergie que les circonstances exigent, contre ces procédés indignes d'un état civilisé».

La tragédie commençait: plus de 600 prélats, cha­noines, vicaires généraux, professeurs de théologie furent jetés en prison. Les églises et monastères qui résistèrent furent confisqués.

Les évêques furent arrêtés: Aftenie Vasile, Balan Ion, Chinezu Liviu, Frentiu Traian, Hossu Iuliu, Russu Alexandru, Suciu Ion...

Le 1 décembre 1948, les communistes publièrent le décret 358 par lequel ils confirmaient l'anéantissement de l'Eglise gréco-catholique et sa disparition.

 

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Devant le refus catégorique de l'Eglise catholique d'être dirigée par un régime athée communiste, les autorités de Bucarest essayèrent de monter un procès contre la Nonciature de Roumanie.

Ils accusèrent Mgr Gérard Patrie O'Harra, archevêque de Savan-nah, Mgr Guido Del Maestri, Mgr Johan Kirik et quatre autres per­sonnalités ecclésiastiques d'être des instruments de l'impérialisme, visant à déclencher une nouvelle guerre. Accusés d'immixtion dans les affaires intérieures, les trois représentants de la Nonciature furent expulsés en 1950.

Avant de quitter la Roumanie, Mgr O'Harra adressa au ministère des Affaires étrangères cette protestation [1]:

«...Le Saint-Siège a le profond et douloureux regret de constater que la lutte menée depuis deux ans par le gouvernement de la République populaire contre l'Eglise catholique en Roumanie, contre le Saint-Siège, contre le Souverain Pontife et contre les représentants de ces derniers auprès du gouvernement de la République populaire de Rou­manie, en est maintenant arrivée à engager contre eux un procès politi­que public ...

"Cette action s'aggrave de commentaires inqualifiables et d'affirma­tions calomnieuses, largement répandues par la presse et la radio...

«Devant cette attitude qui constitue un outrage à l'honneur, à la dignité de l'Eglise catholique et de ses représentants, le Saint-Siège a le devoir d'élever une protestation formelle et solennelle. Cette protes­tation est d'autant plus éloquente et catégorique que la façon dont ont été présentées pendant le procès en question les prétendues preuves et en général toutes les circonstances et tous les-faits avancés durant le procès et attribués directement ou indirectement aux membres de la Nonciature Apostolique, portent un caractère évident de fausseté, d'arbitraire et de déformation de la vérité...

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La «Mise au pas»  de l'Eglise Catholique roumaine.

Au commencement du printemps 1949, les évêques catholiques furent incarcérés et soumis à un traitement sévère: Durcovici Anton, Cisar Alexandru, Marton Aron, Pacha Augustin, Scheffler Ianos...

On ne connaîtra jamais le nombre exacte des prêtres arrêtés. Ce que l'on sait, c'est ce que se passait dans les prisons.

L'Eglise était persécutée dans sa totalité.

A la fin de l'année 1948, le Cardinal Mindsenty fut accusé de complot, espionnage, haute trahison, parce qu'il s'opposait à la nationalisation de l'enseignement.

Le primat Tchécoslovaque , . MGR. Beran fut arrê­té.

L'Albanie aussi connut le massacre. Les évêques Gyergj Volaj et Franco Gjini avec 18 prêtres furent fusillés en mars 1948.

LA MOLDAVIE SUR LE CHEMIN DE LA CROIX

L'Eglise, considérée comme un obstacle a été ré­primée avec brutalité après l'arrivée des troupes sovié­tiques.

Jour après jour, le tribut de la souffrance augmen­tait.

Le printemps 1949, en plus de l'assaut contre les paysans —couche majoritaire, adversaire du communis­me— apporta la persécution des mêmes paysans comme unité spirituelle et réservoir de conservation de l'âme nationale. Le communisme voulait arracher le pain de la bouche des gens et la croyance de leurs cœurs.

Le bâton était l'argument et l'arme utilisée contre ceux qui étaient sans défense.

La terreur prenait le dessus. Le pays entier devenait un terrain d'oppression pour tous ceux qui gardaient en­core le sourire sur les lèvres, le mot doux et l'acte chari­table pour diminuer les souffrances.

Les gens silencieux dressaient un mur de protection autour de l'Eglise et de ses serviteurs.

Après la suppression de l'Eglise Gréco-catholique à l'automne 1948, au printemps 1949 les communistes essaient de supprimer aussi l'Eglise Catholique de rite romain.

Les troupes de la «Securitate», la police politique roumaine, commencèrent la répression contre les villages de Moldavie. Le 10 mars 1949 devant les mitrailleuses, les hommes se rassemblèrent pour défendre l'Eglise du village  Fundul   Racaciuni,   alors   que  les   femmes, les enfants. dans leurs bras, prenaient le chemin de Marie. Plus tard, mais enchaînées avec leurs enfants, ces femmes quit­taient la forêt pour l'église devenue une prison. Anton Benchea, l'instituteur du village, fut arraché du sein de sa famille, humilié et torturé devant son épouse et ses neuf enfants, puis fusillé. Chacun à son tour, les enfants em­brassèrent les blessures saignantes de leur père. Plus tard, Silvestru, l'aîné des neuf, dédia sa vie à JESUS.

Une semaine après, alors que les uns prenaient le che­min de la prison, des dizaines d'autres villageois rentrèrent, pleins de blessures, de la «Securitate» de Bacau.

Le 15 mars, les démons de la même «Securitate» donnaient l'assaut au village Faraoani. Ion Farcas fut jeté du haut du clocher de l'église, surpris pendant qu'il sonnait l'alarme; les prêtres Ion BUTNARU, Anton DAMOC, Petre DINCA, Anton OLARU,et les fidèles qui sortaient de la messe, faisaient connaissance avec l'hor­reur communiste; torturés, ligotés, ils se retrouvèrent jetés dans la neige.

Anton CICEU, 80 ans, sa canne à la main, fut auto­risé à rentrer chez lui. Mais il n'est jamais rentré. Les bal­les communistes l'ont couché à jamais au milieu de la route. Le soir, les camions furent chargés de dizaines de paysans partis pour d'autres souffrances dans les sous-sols de la «Securitate» de Bacau. Il semble que le temps apocalyptique soit venu pour les villages: Butea, Luizi, Calu-gara, Galbeni, Sabauani, Valea-Mare, Valea Seaca...

A Iassy, le père Sandu MATEI, véritable apôtre du Christ fut exécuté.

Le père Vasile GABOR, du village Tamaseni, dépar­tement de Neamtz, caché dans une grotte dans la monta­gne, fut trouvé mort de faim en prière.

L'Evêque de ces bons et braves chrétiens, Anton DURKOVICI, après de terribles tortures, resta définiti­vement dans la prison d'extermination de Sighet, comme témoignage de sa persistance dans la croyance, dans la foi.

Les chrétiens sont restés chrétiens.

Tout comme leur Evêque avait consacré solennel-1 ment son Diocèse à la protection du Cœur Immaculé A Marie, de plus en plus de familles suivaient le même chemin, pour la foi.

La CROIX est devenue 1 arme invincible des mar­tyrs pour la foi.

 

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La persécution religieuse en Roumanie était encore dénoncée à 1' O. N. U. dans la séance du 19 avril 1949 de la Commission politique, par M. l'Ambassadeur Costa du Rels, chef de la délégation bolivienne:

Détenant le pouvoir total, la minorité en use pour entreprendre la lutte contre la religion. Il n'y a pas eu jus­qu'à présent en Roumanie de procès retentissant contre les hauts prélats, mais il n'est pas exagéré de dire que la liberté religieuse a cessé d'y exister. Le gouvernement communiste de Bucarest s'est attaqué d'abord à la reli­gion catholique de rite Uniate. Par un fait sans précédent dans l'histoire contemporaine, les communistes qui op­priment la Roumanie ont, par un décret du 1-er décembre 1948, supprimé purement et simplement l'Eglise gréco-catholique (Uniate) comptant un million et demi de fi­dèles et ont confisqué toutes ses églises et institutions éducatives et culturelles ainsi que toutes ses propriétés . . . L'Eglise catholique de rite latin, comptant 1.250.000 fi­dèles n'en a pas moins subi de graves persécution sous forme d'expulsions de prêtres de nationalité roumaine, de réquisitions d'immeubles, de suppression des journaux et des revues catholiques . . . Quant à l'église dominante, l'Eglise orthodoxe qui, en apparence est protégée par l'Etat, elle subit une oppression d'un autre genre. Parallelement à  la mise à  la retraite forcée d'un nombre d'é veques et hauts dignitaires ecclésiastiques, le gouvernement communiste a trouvé moyen de s'infiltrer dans l'Eglise orthodoxe, grâce à la nouvelle loi qui assure au soi-disant «Parlement» composé uniquement de communistes, le contrôle des élections aux hautes dignités de l'Eglise. C'est ainsi que le chef de l'Eglise orthodoxe roumaine, le pa­triarche Justinien Marina, qui n'était encore tout récemment qu'un prêtre de grade inférieur, sur lequel pesaient de graves accusations, a été élevé brusquement par les communistes au rang de métropolite de Moldavie et aussitôt après, à celui de Patriarche. Ses déclarations et ses fréquents voyages à Moscou ne laissent subsister aucun doute sur la raison de son élévation à cette haute dignité. »

 

 

LA LUTTE CONTRE LES PAYSANS

L'indépendance de la Roumanie a été protégée durant des siècles par les paysans.

Les communistes manœvrèrent les paysans pour les amener à se détruire entre eux.

La première campagne d'ampleur en faveur des co­mités de coopératives agricoles, noyaux du futur kolkhoz fut lancée en mars 1945 pendant que les soldats, les pay­sans, combattaient sur le front.

Des réunions furent convoquées dans les villages et les paysans furent poussés à s'approprier les terres sans la moindre procédure légale.

L'anarchie se répandit partout comme une immense vague, le droit de propriété reçut une atteinte sérieuse.

Les ordres communistes étaient d'annihiler tous les éléments indépendants ruraux en attaquant en premier lieu les possesseurs de plus de 20 hectares.

Puis les pauvres furent incités   à grignoter les terres de tous ceux qui étaient un peu moins pauvres.

La politique communiste était de détruire les tradi­tions toujours très fortes dans les villages et puis de venir à bout des paysans en totalité. Après 1949 suivit la péri­ode de mise en esclavage des paysans: la confiscation des terres distribuées auparavant .

Toutes   les   organisations   d'inspiration   réellement paysanne   ont été premièrement décimées et puis dissoutes.

*   *   *

VERS LA COLLECTIVISATION

Analysant l'évolution de la vie quotidienne après l'instauration forcée du gouvernement par les Russes, on peut dégager une tendance générale vers l'anarchie.

En Moldavie rien ne pouvait se réaliser. L'autorité centrale n'était pas obéie. Les directions locales et la Sûreté étaient mises à la disposition des Russes. Les gens ne bénéficiaient d'aucune sécurité, ni chez eux, ni dans la rue. La lie de la société était en mouvement, devenait audacieuse, même agressive en observant que l'autorité était en déclin, grâce aux troupes libératrices qui se com­portaient en occupantes.

La réplique «Davai montre, davai manteau, du Dni­estr jusqu'au Don» du sketch de Constantin Tanase disait tout. Quand celui-ci est apparu sur la scène les deux bras et le cou ornés de montres, les gens l'ont applaudi frénéti­quement, car, sans dire un mot, il personnifiait l'atmosphère qui régnait dans le pays. Mais cela lui coûta la vie.

L'inflation était en hausse, tandis que les aliments disparaissaient, la famine montrait ses dents et la rouée vers les provisions était à l'ordre du jour. Les Russes emportaient tout ce qu'ils pouvaient, la pénurie étant donc pro­voquée par eux. Pour cela on cherchait des coupables pour motiver cette pauvreté extrême et la presse communiste a vite trouvé des boucs émissaires : les commerçants qui cachaient les marchandises pour pouvoir les spéculer, les industriels qui ne voulaient pas améliorer la vie des travailleurs et les propriétaires fonciers qui exploitaient les paysans.

Les travailleurs furent envoyés à la campagne pour faire comprendre aux paysans la lutte commune, utile au régime communiste.

Le temps libre cessait presque d'exister. L'homme ne devait plus avoir le temps de réfléchir. Il fallait qu'il soit à tout moment occupé. Il commençait à être appri­voisé comme les animaux, à respecter scrupuleusement le programme pour contenter le nouveau maître. On de­vait s'humilier, faire le chien couchant. On ne devait ja­mais dire non, même si on n'agissait pas en conséquence. La lâcheté commençait à devenir la principale caractéris­tique de la nouvelle moralité. L'âme de l'homme était salie, égarée du droit chemin, elle devait s'agiter dans l'in­certitude. L'annihilation totale de la personnalité était le but désiré des communistes, dans un monde dans lequel l'homme allait vivre une vie immorale.

Les paysans qui avaient reçu de la terre à la suite de la soi-disant réforme agraire, n'ont même pas eu le temps de s'habituer à l'idée qu'ils seraient propriétaires, car ils ont tout de suite été obligés d'entrer dans des asso­ciations pour le travail en commun de la terre, avec tout l'inventaire agricole (chariot, bœufs, charrue).

Ceux qui résistaient provoquaient des ennuis à leurs enfants, à l'école ou au lieu de travail. Leurs enfants étaient convoqués aux organisations de base et incités à faire comprendre à leurs parents que s'ils ne cédaient pas, ils perdraient leur emploi.

A ceux qui ne s'inscrivaient pas dans ces «associations», on a commencé à appliquer le système des quoti­tés à la suite duquel ces paysans étaient amenés à ache­ter des produits pour pouvoir acquitter les quotas fixés. Ils devaient également des rations de céréales et légumes qu'ils ne produisaient même pas. Il ne leur restait plus rien pour les semailles et ceux qui ne s'exécutaient pas se trouvaient avec la maison vide. Le percepteur était le principal oppresseur dans l'exécution financière du paysan.

A la fin du mois de juin 1947, les gens avaient amené le blé aux batteuses, puis l'avaient rangé en meules.

Dans la commune de Rast, département de Dolj, les paysans refusaient d'égrener. On a tout de suite averti le préfet du département, Cumpanasu, ancien prêtre dé­froqué, qui plus tard deviendra général de «Securitate». Devant les paysans, il a essayé de les convaincre à battre les céréales, en leur expliquant que, même si les quotas étaient plus grands que la production de la terre, c'était un devoir envers l'Etat que tout le monde devait accomplir.

Bon, bon, dirent les paysans. On va acquitter les quotas. Mais de quelle manière, car il ne nous reste plus rien pour les semailles.

C'est alors qu'un vieux paysan, Ion, dît.

Monsieur le Préfet, les gens ne refusent pas d'é­grener, mais ils ont peur qu'on va leur prendre aussi les pailles.

Soyez rassurés, personne ne va vous prendre les pailles, répondit promptement le préfet Cumpanasu.

Vous voyez, soyez tranquilles, intervint Ion, vous allez rentrer à la   maison   avec les pailles, après une année de travail!

Le préfet a bu l'affront, les paysans lui ont ri au nez. Mais c'était la pure réalité: dans tout le pays les paysans rentraient avec les pailles et les sacs à céréales vides.

Après la sécheresse de 1946, l'année suivante, la récolte a été mauvaise et en Moldavie la famine montrait ses dents. Les quotas de céréales s'agrandissaient. Devant cette situation les gens ont amené une partie des gerbes de blé à la maison où ils les frappaient avec des bas tons. Les gendarmes et les autorités communales ont alors com­mencé les perquisitions et ont confisqué les gerbes de blé ainsi trouvées. Ce procédé a surtout été utilisé en Moldavie.

LA REVOLTE DE BIHOR

Pendant l'année 1947, les premiers mécontente­ments paysans ont éclaté à la suite du régime des quotas qui appauvrissait le peuple. Après la sécheresse de 1946, il ne leur restaient même pas assez de graines pour les se­mailles. Dans beaucoup de villages les paysans refusaient de battre le blé. Devant cet acharnement de la population, les autorités locales, impuissantes, ont demandé l'aide des préfets.

Le département de Bihor fut confronté au mois de juillet 1947 aux révoltes paysannes des communes de Capâlna, Ginta, et Rohan. Le secrétaire d'une des com­mune qui a essayé d'effrayer et forcer la main des paysans fut enfermé dans la caisse de la batteuse. Le préfet du département venu à l'aide des autorités locales, réussit à s'échapper par une fenêtre de la mairie, pendant que sa voiture renversée était incendiée. Devant cette situa­tion, les autorités ont dû pactiser avec les révoltés.

Paul Andrei (alias Polak), premier procureur d'Oradea, a envoyé sur les lieux un de ses collaborateurs qui n'était pas membre du parti (avec l'intention de s'en débarrasser), accompagné des gendarmes —en majorité des sous-offici­ers et des gradés— munis de mitraillettes et carabines, sous le commandement du chef de la légion des gendar­mes du département de Bihor.

Dans une des communes, les paysans (hommes,  femmes enfants) armés de bâtons, de fourches et de faux se tenaient prêts pour la confrontation.

Le procureur délégué et le commandant de la légion, entourés de gendarmes pour leur sécurité, se trouvaient devant la mairie, essayant de discuter avec la foule. Le cercle se serrait de plus en plus autour d'eux, sous la pres­sion des gens qui protestaient contre les quotas et qui criaient qu'ils n'allaient plus donner leur blé> aux Russes. Les insultes affluaient à l'adresse du Procureur Polak, un sbire sans scrupules qui, après avoir été accusateur public à Cluj, s'était prêté à la falsification des élections du 19 novembre 1946. Les gens n'avaient pas oublié . . .

Effrayé par l'ampleur de la révolte et en absence de tout moyen pour procéder à la recherche policière des «ins­tigateurs», le commandant de la légion des gendarmes de­manda au Procureur «l'autorisation d'ouvrir le feu». Le Pro­cureur, en tant que représentant de la loi, subçonnant que le mécontentement des paysans allait éclater,a fait resserrer le cercle des gendarmes et, en se montrant, s'adressa à la foule:

Ecoutez! je ne suis pas le Procureur Paul Andrei.
Je suis un Roumain et je suis venu pour parler avec des Roumains, pour écouter leurs doléances.

Vous entendez? Il dit qu'il n'est pas Polak! crièrent les hommes, en essayant de calmer les femmes qui étaient plus  hargneuses .

Le Procureur commença par leur expliquer qu'il n'était pas venu pour procéder à des arrestations, mais pour éclaircir les gens sur l'obligation des quotas, qui était une des conséquences des dédommagements de guerre. Quelques voix résonnèrent alors dans la foule:

Mais la Bessarabie et la Bucovine ne sont pas de quotas suffisants pour l'avide Russie?

Mais à moi, qui va me donner de quotas pour le mari mort et pour les enfants qui m'attendent à la maison?

Le Procureur leur dit que ce qui se passait avec les quotas  n'était  pas  normal et que c'était vraisemblance une faute quant à leur application, en les rassurant qu'il allait faire connaître cette situation pour qu'elle soit ré­solue.

La foule, plus tranquille, commença à régresser, mais pas trop, tout en surveillant avec beaucoup d'attention des gens en qui ils n'avaient plus confiance. Les dix ca­mions de gendarmes quittèrent les communes mécontentes, sans aucun incident.

Le Procureur fut accusé d'avoir compromis l'action du Gouvernement, car il n'avait pas procédé à des arres­tations. En février 1948, il fut révoqué de la Magistrature.

Le Premier Procureur, Paul Andrei (POLAK), affir­ma à cette époque que la justice devrait passer en tota­lité entre les mains du peuple et que, Lucretiu Patrascano, le Ministre de la Justice en fonction, était déjà con­damné à la mort, qu'il ne restait que son arrestation et l'exécution de la décision. Le Premier Procureur était très bien placé et avait donc accès à certaines informations venant du cercle dirigeant. Le poste et la vie de l'homme étaient à la merci de tels personnages. Mais Paul Andrei était aussi marié. Sa femme, dentiste, avait été internée dans les camps nazis. Et là-bas, elle n'était pas restée sans rien faire. Elle a collaboré avec l'administration et a battu ses coreligionnaires avec le fouet. Échappée des camps d'ex­termination, elle sera condamnée à 5 ans pour crime contre l'humanité.

La rage du peuple devenait de plus en plus grande face aux bandes de terroristes qui parcouraient les villes et les villages.

Dans la région d'Arad —Timisoara— Oradea, un tel tortionnaire sévissait. Son nom était Nedici et il était un criminel. En 1945 il a tué dans la rue, à Arad, l'archiprêtre Mager et a fusillé l'ingénieur Toma dans l'usine de sucre.

Ce criminel odieux a aussi essayé de terroriser les travailleurs de l'usine d'alcool de Pecica. Les femmes l'ont pris  et l'ont tué.  L'une d'entre elle, révoltée, lui a coupé le sexe.

S'agirait-il du mari de Vida Nedici de la «Securitate» de Timisoara qui torturait les hommes comme elle seule savait le faire?

Un autre problème pour les villages fut celui des dirigeants locaux. Des marginaux furent désignés maires et présidents de coopératives agricoles, beaucoup d'entre eux étant analphabètes. Les communistes se sont servis de tous ces hommes tant qu'ils en ont eu besoin, mais après ils les ont mis à la porte comme incompétents et même emprisonnés.

Pour illustrer cette réalité voilà ce qui s'est passé dans la commune de Vânatori, département d'Ilfov, dans la période d'instauration du pouvoir populaire.

On a désigné comme maire Filip Mita, un homme pauvre qui aimait la bonne vie et qui savait signer, mais qui n'avait pas réussi à s'acheter des chaussures. Quand il fut nommé maire, il alla s'installer dans le nouveau poste les pieds nus. Mais Monsieur le Maire avait à sa dispo­sition un tilbury avec lequel il se promenait dans le village du matin au soir, car il aimait être hautain. Quand il dut se présenter à ses supérieurs pour prendre des directives, son secrétaire, Vasile Coman, l'amena dans un magasin où il lui acheta des pantoufles en caoutchouc car «cela ne se fait pas, Nita, d'y aller les pieds nus! »

A eux deux, ils ont réussi dans une seule année, à liquider la fortune collective, mais, au moins, ils ont bien vécu. Son secrétaire, Vasile Coman, lui présentait des papiers à signer pour obtenir pour les supérieurs du fro­mage, des agneaux, des brebis. Il s'y soumettait, car c'é­taient eux qui lui avait donné ce poste et rendre service était donc normal. En outre, eux non plus, ne s'en privaient pas. Ils s'offraient de bons repas, bien arrosés de vin et d eau-de-vie. Cela a duré jusqu'au printemps, quand ils ont constaté que la fortune collective n'existait plus. Ils ont ete   remplacés   par   d'autres,   plus   expérimentés,  qui  devraient la refaire.

L'inflation provoquée par la politique économique du Gouvernement a atteint en 1947 des chiffres incroya­bles par rapport aux revenus. Voilà quelques exemples révélateurs.

  Un  instituteur,  pendant  sa  première  année, gagnait  200   000  lei  par mois et un étudiant obtenait une bourse de 80 000 lei par mois.

  Sur le marché le fromage coûtait 250 000 lei le kg, la semoule de mais 50 000 lei le kg, les raisins 50 000 lei le kg et l'ail plus de 100 000 lei le kg.

En 1948 les quotas de blé ont été de nouveau augmen­tés. Voilà ce que l'instituteur Gheorghe Popa de la commu­ne de Basesti, département de Bacau, nous relate:

«Les quotas ont été si fortement augmentés que la terre ne pouvait produire ce que devait être acquitté. Surtout les quantités de lait qui étaient imposées, dépas­saient largement la production de lait des vaches. On de­vait également rendre des bovins et des ovins pour cou­vrir le quota obligatoire de viande. Pour en faire face on achetait sur le marché des animaux à des prix fabuleux, mais on recevait des sommes dérisoires pour les produits acquittés. Je devais faire face à ces obligations, car je craignais la prison.

Les années suivantes, des nouvelles augmentations des quotas sont intervenues, accompagnées de moyens de répression renforcés. Deux années successives, en 1947 et en 1948 on m'a pris tout la blé que j'avais produit, sans qu'il m'en reste une seule graine, pourtant je devais procéder aux semailles sous menace d'emprisonnement. J'étais obligé de rendre 700 kg d'oignon et je n'avais pu semer qu'une planche. J'ai dû me procurer cette quanti­té dans la commune de Batinesti, département de Putna et cela m'a coûté le prix d'une vache de race Simenthal. J'avais l'obligation d'acquitter chaque jour 20-30 1. de lait produit par mes   deux vaches. J'ai dû acheter du beurre dans la commune de Moldova—Sulita , en Bucovine, pour le rendre à la place du lait.

Pour faire face à cette obligation, il ne me restait plus rien, mais ce n'est pas cela qui me faisait peur, ni la prison, mais le sort de mes enfants qui auraient à acquitter les quotas en mon absence. Ils étaient étudiants à Iassy, menacés d'exclusion, d'emprisonnement et donc de perdre les années d'études. Les autorités ne voulaient pas la terre. Quel système diabolique ! »

Pendant l'hiver 1947—1948, l'épidémie de typhus exanthématique réapparut dans la région de Schitu Frumoasa, dans le département de Bacau.

L'imposition des quotas a duré quelques années. En 1949, un paysan, Pandele, qui avait travaillé consciencieuse­ment ses 4,5 hectares pendant 4 années, rentrait de nou­veau à la maison après le battage, les sacs à céréales vides. Il dit a sa femme:

— Tu vois, c'est la quatrième année dans laquelle je n'ai pu rien ramener. Que va-t-on manger? L'année dernière le percepteur nous a balayé la chambre des grains pour qu'il ne nous reste plus rien pour les volailles. Cette année il ne nous reste que les vêtements à produire ».

Beaucoup de paysans, restés la maison vide, se sont fabriqués des lits en enfonçant quatre pieux dans la terre et en les couvrant de planches sur lesquelles ils posaient un paillasson. Même dans cette situation ils n'ont pas retrouvé la paix; ils ont été arrêtés et emprisonnés pour avoir saboté la collectivisation.

Les paysans représentaient un obstacle pour le ré­gime communiste qui voulait à tout prix résoudre le pro­blème de la collectivisation. L'octroi de titres de proprié­té fut une étape de leur duperie et les associations agri­coles un autre mensonge qui dressa les paysans les uns contre les autres. Le véritable bonheur pour les paysans était la collectivisation. Tel était le point de vue du régime instauré par Moscou:

«Dans la réunion plénière du 3—5 mars 1949, le P.C.R. en appliquant de manière créatrice le plan coopératiste de Lénine adapté aux conditions de notre pays et en tenant compte de l'expérience riche du P. C. de l'Union Soviétique dans le processus de construction so­cialiste à la campagne, a tracé la tendance générale con­cernant la transformation socialiste de l'agriculture. Le processus de collectivisation s'est déroulé graduellement dans notre pays. . .accompagné d'un travail patient, consis­tant à convaincre les paysans de s'unir en associations agricoles, pendant que des moyens nécessaires étaient cré­és à partir de l'année 1949, quand les premières fermes collectives sont créées et jusqu'au printemps de 1962 quand la collectivisation de l'agriculture a pris fin, quatre ans avant le terme fixé.»

Quelle a été la réalité? Le mensonge et la terreur!

 

LA TENTATIVE DE COLLECTIVISATION DE GURA RAULUI

Ce merveilleux village de montagne, connu par sa ri­chesse folklorique traditionnelle et par ses gens travailleurs enviés pour leurs magnifiques fermes, a été le premier à connaître la création d'une association agricole collective imposée par des étrangers qui voulaient commencer à assujettir les montagnards.

Au mois de juillet, un dimanche, deux fonctionnaires de l'autorité départementale firent leur apparition et deman­dèrent au prêtre Ilie Brad de parler aux habitants de la collectivisation et de leur demander de se réunir après la messe dans la cour de l'école pour recevoir d'autres informations. Celui-ci a fait la sourde-oreille, mais la tradition faisait qu'après la messe les gens s'y réunissaient pour écouter les comptes-rendus du maire concernant l'acti­vité déroulée pendant la semaine passée et les indications pour les prochains sept jours.

Après le discours du maire, un des fonctionnaires a pris la parole, essayant d'éclaircir la population sur le bien fondé et les avantages de la collectivisation.

Quand les paysans ont vu le but recherché par les deux intrus, ils ont commencé à les huer, en leur criant qu'ils étaient venus pour profaner le village, tandis que les femmes les battaient. Ils ont pu échapper très diffi­cilement et ils sont rentrés en courant jusqu'à la «Securitate» de Sibiu.

A la sortie de la messe de 14 h, les habitants du village furent pris d'assaut par les gens de la «Securitate», dirigés par le bourreau Craciun. Le prêtre Ilie Brad fut jeté dans un camion avec d'autres paysans. Le combat dura pres­que 2 heures, pendant lesquelles beaucoup d'habitants furent blessés — car les agents utilisaient largement leurs armes à feu — ou harcelés jusqu'au village voisin. 64 per­sonnes ont été arrêtées de cette manière et envoyées en voiture à Sibiu. Ici, femmes et hommes séparés, ils ont été enfermé dans deux hangars, et, pendant une semaine, ils n'ont reçu ni nourriture ni eau. Une fois par jour quelqu'un ouvrait la porte pour demander qui voulait s'inscrire dans l'association agricole collective. Tous ont refusé. Quand les premiers troubles sont apparus, dus à l'absence d'eau et de nourriture, ils ont été libérés. Jus­qu'en 1975 les communistes n'ont pas réussi à les faire inscrire dans l'association agricole et peut-être même pas aujourd'hui.

*    *

Ion, jusqu'à   hier valet de ferme, toujours largement récompensé par  son  maître,   avait  aujourd'hui  trouvé sa place au Conseil populaire. Il avait cru, comme beaucoup d'autres,

 que cela ne pouvait pas être aussi mal qu'on le disait et, maintenant, comme eux, il prêchait les instruc­tions des supérieurs, en incitant les gens à suivre la nou­velle politique agricole qui devait apporter le bonheur à tous, comme le disait la réunion plénière du 3—5 mars 1949:

«La ligne juste du parti poursuit de restreindre la situation économique des cossus, jusqu'à leur élimination, graduellement, . . . d'écarter les grands propriétaires fon­ciers, qui représentent un obstacle pour la collectivisation de l'agriculture et un travail patient afin de convaincre les paysans de s'unir en associations agricoles collectives, pour l'accroissement de la production, . . . pour le bon­heur ...»

Tout commençait à s'embrouiller dans la tête de Ion, il ne savait plus quoi penser: on avait pourtant tout pris aux riches . . .

«Actuellement, une nouvelle étape ... les grands propriétaires fonciers seront autorisés à amener une valise de leurs affaires personnelles ... et ensuite ils seront conduits dans d'autres départements où ils devront tra­vailler pour gagner leur existence . . ., des moyens de tran­sport seront mis à notre disposition, ainsi que des renforts . . .»

Ceux qui avaient déjà reçu cette mission disposaient du nécessaire, mais ils ne pouvaient plus quitter le comman­dement. Ion avait encore à sa disposition quelques heures jusqu'au soir. Comme un fantôme, il fit son apparition dans la maison de son ancien maître pour l'avertir de ce que se préparer, et disparut comme il était venu.

A minuit, les portes du manoir étaient forcées et le maître, le seul qui a refusé de quitter la propriété, était bus-culé par le chef de la bande pendant qu'il préparait sa valise, tandis que les autres fouillaient la maison pour trouver de quoi se remplir les poches . . .

Pendant ce temps, dans tout le pays, à Afumatzi, Urzica Purani, Mateiesti, Racani, Tamna, Racaciuni . . ., dans toutes les communes, les équipes remplissaient la mission tracée par le parti . . .

Quatre ans étaient passés depuis que les chars sovi­étiques traversaient la Capitale et imposaient un parti qui à cette époque, n'avait ni ligne directrice ni mission . . .

 

***

C'est à partir de 1949 qu'on est passé à la collecti­visation.

Romulus Zaroni, le Ministre de l'Agriculture, a été le premier à avoir des problèmes, car sa femme refusait de donner ses terres à la «collectivité» agricole . . . Mais la ligne du parti devait être poursuivie ... Il a dû divorcer et se marier à une femme sans terre, qui ne pouvait plus lui créer d'ennuis.

DE NOUVEAU A BIHOR -  1948

Dans la nuit du 5—6 juillet, la révolte paysanne se déclencha dans ce département, aux alentours de Salonta. Le colonel Czeller, le comandant de «Securitate», ayant sous sa direction les départements de Maramures, Arad, Bihor, n'a pas fermé l'œil de la nuit. Le matin il devait partir à Sighet où des importants problèmes d'état l'atten­daient: il devait assister personnellement à la torture de quelques personnes qui refusaient de reconnaître leur in­tention criminelle envers la classe ouvrière.

Le colonel avait à sa disposition un collectif de 126 agents   de  la  «Securitate»,  parmi  lesquels  19  Roumains,  les paysans lui créaient des problèmes, il fallait donc les «convaincre»... Les dispositions de la réunion plénière du 3-5 mars devaient être mises en application sans au­cune réserve. Il donna donc l'ordre de rassemblement de l'armée sur les lieux du conflit jusqu'à son retour, pour que l'ordre soit rétabli le plus vite possible. Il ordonna même, le 6 juillet à 7h du matin, au capitaine Elekes, le chef du service, d'annuler son vol pour Sighet, car sa pré­sence devant ce conflit paraissait indispensable. Le sous-lieutenant Ilie Rada était chargé de cette tâche. A l'écoute de celle-ci, il riposta:

—C'est une bêtise de faire cela quand l'avion est prêt à partir en mission! H faut en profiter!

Ils ont vite ramassé leurs papiers et ils sont partis pour l'aéroport .

Le soir, quand la révolte s'était répandue dans tout le département, à Apata, Somosches, Bereghiu, Ceremeiu, Fagadau, Ineu, le colonel Czeller apprenait que l'avion avec Elekes et Ilie Rada avait atterri en Yougoslavie... Tout cela a attardé de 6-7 mois l'action en justice contre ceux dont les dossiers furent emportés par Elekes.

La révolte paysanne se prolongea. De nombreuses arrestations furent effectuées, dont celle de Gh. Belea de Somoscheiu, cousin de Miron Belea du Front des La­boureurs. Beaucoup de paysans furent envoyés, au Baragan. Le colonel Czeller pouvait enfin respirer. En 1950, ayant obtenu de l'avancement au Ministère de l'Inté­rieur, on lui confia la tâche de la rééducation dans les prisons. Et il s'y mit sérieusement, à côté de Nicolski, Dulgheru, Teohari... jusqu'en 1953 lorsqu'il s'est tiré une balle dans la tête pour faire oublier tout ce qu'il avait fait.

D'autres efforts restaient à faire pour la collectivisation. En 1950 il y avait 184 coopératives en Roumanie. Une nouvelle vague d'arrestations et de déportations fit passer leur nombre de mille à la fin de l'année.

La force continuait d'être l'argument de cette action.

Le paysan  Ion Grindeanu, de Silvasul de Câmpie, a été tué pour s'être opposé à la collectivisation.

 

« Le travail patient de persuasion» des paysans conti­nuait. Seul Nicolae Ceausesco s'est énervé et a passé les communes de Nicolitel et de Suraia par les armes. La ligne du parti était celle de la force devant les faibles.

A Cudalbi, plus de 130 paysans furent tués. Près de 100 ont été rencontrés en prison et quelque 20 paysans se sont réfugiés dans la forêt, profitant pour quelque temps de la liberté du haidouk.

 

Les paysans de Siria se sont également révoltés. Mais les communistes étaient décidés à agir. Le tribunal de Timisoara émettait de sentences injustes à cadence élevée. Le colonel Stefanesco, après avoir prononcé des milliers de telles sentences, fut lui même jeté en prison à coté de ses victimes.

 

Après 1945, les villages de Volintiru et de Dorobantzu situés entre le Jijia et le Prut, détruits par la guerre, ont été reconstruits par les habitants frappés par le typhus et la famine. Les paysans étaient en plus souvent arrêtés et torturés par la milice, pour céder leurs terres.

Les maisons se dégradaient. Les gens ne pouvaient plus les refaire. Dans la commune de Sabaoani, des famil­les avec 8 à 10 enfants habitaient dans les étables. Les paysans quittaient leurs villages pour gagner les villes dans l'espoir d'une vie meilleure.

 

A CRAIOVA DES MAGISTRATS ROUMAINS RESTENT DIGNES

Dès son implantation, le communisme a agi, en pro­voquant le désordre et en montant les gens les uns contre les autres. La justice, menée par un homme comme Lucretziu Patrascano, devait devenir docile et servir les injustices du régime. Et il y avait partout des gens sans scrupules, préoccupés uniquement par leur carrière. On peut évoquer à cet égard quelques exemples du département de Dolj.

En novembre 1944 la préfecture de Craiova était prise d'assaut par les communistes, menés par les avocats Ionel Garboviceano et Costel Diano. Tous deux s'étaient déjà faits remarquer par leur comportement immoral. Ion Garboviceano dénonçant le procureur Giugiuc poussa celui-ci au suicide lorsqu'il fut arrêté et transféré à la pré­fecture de Bucarest. Costel Diano, devenu officier de po­lice à la préfecture de Bucarest, n'était peut-être pas étran­ger à cette affaire.

Pour supprimer le Barreau des avocats de Craiova, les communistes avaient besoin de la majorité. Avec des promesses, ils réussirent à attirer Cornel Maghetzu, qui, ancien membre du parti National Paysan, était passé aux libéraux, pour enfin atterrir chez les communistes. Mais c'est grâce à l'avocat Gogu Socoteanu que les communistes aient obtenu le vote. Le premier juillet 1948, interrogé sur les raisons de son comportement anti-patriotique, Socoteanu affirmait avoir voulu protéger sa famille qui seule comptait pour lui. Mais le sort l'a puni, car un an après il enterrait son fils noyé et puis, tombé en disgrâce il fut arrêté; plus tard, libéré, il devint alcoolique et mou­rut de tétanos.

L'autre   avocat,   Cornel   Maghetu,   après   avoir   fait le  jeu des communistes, fut également arrêté. Il  devint ensuite alcoolique et mourut de cirrhose.

Mais nombreux sont ceux qui, avocats, magistrats, officiers ou autres intellectuels, ont choisi la dignité de­vant la pression communiste, préférant exécuter des tra­vaux manuels pour gagner leur vie. Quelques uns se sont inscrits à la Mairie pour obtenir le permis d'exécuter le métier de roulier. Parmi eux:

Vasile Scarlat, président du tribunal de Dolj; Costica Capruciu, juge; Sanesco Aurica, procureur; Cornel Udrea, juge, mort d'infarctus à cause des efforts; Dinel Hiesco, avocat; Gangioveanu, avocat; Listeveanu, colonel; Sourtulesco, colonel; Valter, colonel.

Il y avait bien sûr de nombreux intellectuels qui, dans tout le pays, supportaient des situations similaires.

Le système communiste voulait, par le mensonge, détruire la morale et pervertir les hommes. Beaucoup de jeunes paysans avaient été aidés par des propriétaires pour apprendre et être utiles dans leurs villages. Mais les com­munistes avaient réussi à faire d'eux les ennemis de leurs bienfaiteurs. Tel est le cas de Mitrutz, fils d'un paysan de Gighera, départemant de Dolj, qui avait été élevé par un intellectuel à Craiova, fondateur d'une église. Après le bac , Mitrutz s'inscrivit dans le parti communiste pour faciliter son ascension et commença la «lutte de classe» contre son bienfaiteur. Pour cella il a même entraîné ses deux frères, restés au village, qu'il a poussé à détruire les fresques de l'église avec de la chaux. Les paysans, indignés, ont protesté et les conséquences furent tragiques. Mais la justice s'est faite d'elle même. Un an après cela, à minuit, un des frères, entendant un bruit, est sorti avec le fusil et se tua lui même par accident. Un an plus tard, le deu­xième frère, surveillant le travail sur le champs, s'est cou­ché par  terre et un tracteur l'a complètement broyé. L'autre frère, resté en vie, est devenu alcoolique.

 

 

 

 

 

 



[1] L'ame Roumaine écartelée par l'Abbé Pierre Gherman, Paris 1955